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long-temps, s’il en était compétent. En tout, quand la plus grande partie de cette affaire ne pourrait pas se vérifier aussi facilement qu’elle le peut, quand les injures que M. de Beaumarchais a eu l’impudence de me dire devant le commissaire lui-même ne seraient pas une forte présomption pour ce qu’il a dit et fait sans témoins, il me suffirait de rappeler que je n’ai jamais été connu au tribunal, à la police, à Paris, ni dans aucun lieu, pour querelleur, joueur, ou dérangé, pendant que la réputation de M. de Beaumarchais n’est pas, à beaucoup près, aussi entière, puisque, indépendamment de l’insolence la plus reconnue, des bruits les plus incroyables, il essuie dans ce moment un procès criminel pour avoir fait un faux acte. »


Voilà encore de la part du duc de Chaulnes une grossière calomnie, car il savait parfaitement que Beaumarchais n’essuyait pas un procès criminel pour un faux acte, mais qu’il était en procès civil avec le comte de La Blache à l’occasion d’un acte dont ce dernier contestait la sincérité, sans oser même l’attaquer directement en faux. Seulement on voit ici quelle désastreuse influence ce procès La Blache exerçait sur la réputation de Beaumarchais, puisque le duc de Chaulnes ne craint pas, au moment même du procès, de dénaturer les faits d’une manière aussi révoltante. Ce duc, faisant ainsi les honneurs de la moralité de son adversaire, nous oblige de rappeler que lui-même, à cette époque, soutenait contre sa propre mère un procès horriblement scandaleux, que les documens que j’ai sous les yeux prouvent qu’il était aussi débauché et dérangé de toutes manières qu’il était brutal, et qu’après avoir été banni du royaume pour faits de violence, sa vie tout entière ne fut qu’une suite d’actes de même nature.

Cette journée du 11 février ayant été fort orageuse, on serait tenté de supposer assez naturellement que Beaumarchais consacra la soirée à se remettre, à se reposer, et à prendre ses précautions pour le lendemain ; cependant, si j’en crois le manuscrit de Gudin, comme il était le même soir attendu chez un de ses amis pour lire en nombreuse compagnie le Barbier de Séville, il arriva au rendez-vous frais et dispos, au moins moralement, lut sa comédie avec verve, raconta joyeusement les fureurs du duc de Chaulnes, et passa une partie de la nuit à jouer de la harpe et à chanter des séguedilles. « C’est ainsi, dit Gudin, que, dans toutes les circonstances de sa vie, il était entièrement à la chose dont il s’occupait, sans qu’il fût détourné ou par ce qui s’était passé ou par ce qui devait suivre, tant il était sûr de ses facultés et de sa présence d’esprit. Jamais il n’avait besoin de préparation sur aucun point ; son intelligence était toujours entière dans tous les momens, et ses principes n’étaient jamais en défaut. »

Le lendemain matin, Gudin nous montre le père Caron apportant à son fils une vieille épée du temps de sa jeunesse et lui disant : « Vous autres, vous n’avez plus que de mauvaises armes ; en voici une