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l’enquête, 21 employant 71 ouvriers, et réalisant en affaires collectives une somme de 1,670,000 francs. Depuis quelques années, les chercheurs de nuit ne vendent plus guère leur butin sans lui avoir fait subir un premier nettoyage, soit qu’on leur impose cette condition, soit qu’ils y trouvent plus de profit. Cet usage doit rendre leurs habitations de plus en plus insalubres. Qu’on se figure des ordures de toute espèce, triées, lavées et séchées dans une chambre où mangent et dorment hommes, femmes et enfans! Quand par malheur la vente se ralentit et que les marchandises s’accumulent, la fermentation dégage des odeurs putrides, asphyxiantes, auxquelles on ne peut résister que par la force de l’habitude.

On a trouvé environ 300 chiffonniers logés dans les garnis de bas étage : le plus grand nombre préfère habiter des maisons ou des chambres sans meubles, louées à la semaine, parce que ces réduits, n’étant pas soumis aux visites de la police, offrent aux locataires une plus grande indépendance. Quel usage en font-ils, grand Dieu? Les notes prises au milieu de ces cloaques présentent à l’imagination tout ce que la misère a de plus hideux, et le vice de plus immonde. Presque tous les chiffonniers vivent en concubinage, dit-on dans l’enquête, se séparant et se remettant ensemble au moindre prétexte; car, en cas de mort, le survivant forme immédiatement une autre liaison. Dans ces affreux ménages, qui heureusement sont peu féconds, hommes et femmes sont d’accord pour économiser sur le manger (on ne parle pas de l’habillement) et consacrer le plus d’argent possible à ce poison qu’on leur vend pour de l’eau-de-vie à raison de 1 franc le litre. Ils ne dépensent en pain que quelques centimes, et quelquefois ils se contentent des restes qu’on leur donne ou qu’ils trouvent dans la rue. Les recenseurs mentionnent trois femmes qui, leur a-t-on dit, « n’ont jamais vécu que de vieux morceaux de pain moisi ramassé dans les ordures. » Ailleurs un homme, tirant de sa hotte quelques poissons gâtés qu’une marchande avait jetés, disait avec béatitude : « Je crois qu’ils sont encore un peu frais. » Au surplus, pourquoi plaindrait-on le chiffonnier? Il ne paraît pas souffrir, du moins moralement, de cet odieux régime, et, quand il lui arrive une lueur de raison entre deux crises d’ivresse, il affecte de se montrer jovial, goguenard, fier de ce qu’il appelle son indépendance, et content de son sort.

Je crois devoir faire remarquer, en terminant, qu’il n’y a pas une connexité précise entre la population industrielle et celle des garnis suspects, et qu’en réalité le personnel dégradé des mauvais lieux appartient à toutes les classes de la société.


V. — UN DERNIER MOT.

Même en adoptant les correctifs proposés plus haut, il ressort de l’enquête que le développement de l’industrie parisienne depuis le commencement du

siècle est colossal. La métropole française vient après Londres dans la liste 

des grands foyers de production, et si l’on tenait plus grand compte de la perfection des produits que de leur quantité, l’estime des peuples attribuerait sans doute le premier rang à Paris. Mais il y a des teintes sombres dans ce tableau si propre à flatter la vanité nationale. De sales misères qui s’étalent sans