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Je viens de découvrir des tableaux bien hideux, et cependant j’en suis encore aux beaux quartiers. Je n’ai pas dépassé le IIIe arrondissement. A mesure qu’on parcourt les autres (le Xe et le XIe exceptés), ce qu’on rencontre devient de plus en plus indescriptible. Ce sont des logemens totalement privés d’air et de jour, comme cette chambre du quartier des Halles « où l’air qu’on respire est d’une telle puanteur, qu’une personne qui n’y est pas habituée ne peut y rester que quelques instans, et cependant six hommes y couchent. » Si Dante avait eu l’idée de peindre dans les cercles infernaux les tortures que peut occasionner la plus excessive saleté, il n’eût pas imaginé autre chose que ce qu’on raconte de certaines maisons des faubourgs du Temple, Saint-Antoine ou Saint-Marceau, et dans ces quartiers l’abjection du régime semble encore aggravée par l’infamie des mœurs. Le personnel y devient plus hideux que l’entourage. Par exemple, dans un garni voisin du canal Saint-Martin, habité par 13 hommes et 6 femmes, les inspecteurs écrivent ce qui suit : « Véritable repaire, bouge infect, femmes à figure repoussante, violacées et bourgeonnées par suite d’excès continuels de spiritueux, se livrant à des turpitudes inqualifiables…… Tous couchent pêle-mêle dans deux ou trois chambrées où le plus souvent ils se battent. »

Au milieu de cette dépravation, on s’étonne de rencontrer parfois des vertus humbles et fermes, qui ne s’altèrent point au contact du vice et que le vice semble respecter. Les inspecteurs signalent dans les plus mauvaises maisons des gens très laborieux et de bonne conduite. Ainsi, après mention faite d’une de ces cavernes où croupissaient dans l’oisiveté des ouvriers ivrognes, débauchés, et même soupçonnés de vol, l’enquête ajoute : « Cependant vivait parmi eux une femme se conduisant bien et travaillant jour et nuit. » Pauvre ame ennoblie par la misère ! personne ne lira ce qu’on a écrit d’elle sans lui adresser sympathiquement un témoignage d’estime et de pitié.

La spéculation, qui ne néglige aucune chance de gain, a encore imaginé, le croirait-on? d’ouvrir des garnis pour les enfans. On cite, entre autres, un repaire de ce genre, « abominable de laideur, de malpropreté et de misère, » où de jeunes garçons de onze à dix-sept ans viennent passer la nuit au prix de 10 ou 15 centimes, suivant qu’ils logent en chambrée ou en cabinets particuliers. A part quelques pauvres garçons venus de la campagne pour apprendre un état et déçus dans leurs espérances, les autres locataires sont de petits drôles qui ont déserté la maison paternelle ou se sont fait chasser des ateliers où ils travaillaient. Grâce aux traditions du lieu, ils ne tardent pas à faire l’apprentissage de ces métiers d’aventure qui conduisent la plupart d’entre eux sur les bancs de la police correctionnelle. Craignant sans doute les poursuites de leurs familles, ces petits vagabonds ne restent pas long-temps dans le même gîte. Le maître de la maison mentionnée a déclaré avoir reçu en deux ou trois jours jusqu’à 300 de ces mauvais sujets, et ses livres constatent qu’en 89 jours il en a logé 2,845, ce qui donne une moyenne de plus de 31 locataires nouveaux par jour. Il n’y a pas du moins à Paris, ainsi qu’à Londres, de ces garnis où les enfans des deux sexes sont accueillis comme maris et femmes, où une seule chambre et d’ordinaire un seul lit reçoivent trois ou quatre de ces abominables ménages.

Pour ceux qui tombent dans les abîmes sans fond de la misère, il y a une