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lui la série des expédiens qui aggravent le mal : les crédits chez les fournisseurs, les visites au mont-de-piété, la vente successive des effets. Le chômage se prolonge-t-il, la ruine complète de son mobilier le forcera à se réfugier dans un garni, crise fatale dans son existence. A moins d’une rare énergie pour se relever à la reprise du travail, il contractera dans ce milieu des habitudes d’insouciance ou un découragement plein d’amertume; il y formera des liaisons suspectes. Pour les femmes, le séjour des maisons garnies est bien plus redoutable encore. Le peu de confiance que leur situation inspire empêche qu’on leur confie des marchandises; le manque d’argent, la menace presque incessante d’être chassées de leur dernier asile par le logeur qu’elles ne peuvent pas payer, ouvrent devant elles une affreuse perspective. Souvent sollicitées au plaisir, au milieu de ce voisinage qui se renouvelle sans cesse, cèdent-elles, dans un jour de disette, à la tentation de s’étourdir, elles glissent peu à peu jusqu’à la dernière dégradation.

Le domicile de l’ouvrier étant un des signes les plus caractéristiques de sa situation matérielle et morale, on n’a pas négligé les éclaircissemens à ce sujet. Les réponses fournies par les patrons s’appliquent aux quatre cinquièmes des ouvriers qu’ils employaient en 1847; en voici le résumé :


HOMMES Ouvriers dans leurs meubles 122,922 soit 74 sur 100
— habitant chez leurs parens ou chez le patron 9,861 soit 5 sur 100
— logés en garni 34,311 soit 21 sur 100
FEMMES. Ouvrières dans leurs meubles 68,691 soit 80 sur 100
— habitant chez leurs parens ou chez le patron 12,141 soit 15 sur 100
— logées en garni 4,158 soit 5 sur 100

On doit conclure des indications qui précèdent qu’en 1847 plus de 46,000 salariés industriels logeaient en garni. Le recensement fait en cette même année n’attribue pourtant aux maisons meublées que 50,000 locataires pour toutes les classes de la population, et il est évident que les individus (autres que les ouvriers) installés dans les hôtels grands et petits, dépassaient de beaucoup le nombre de 4,000. Pour concilier cette apparente contradiction, il faut se rappeler que, dans les dénombremens administratifs, on ne considère comme logés en garni que ceux qui y font un séjour moindre de six mois. Au contraire, les ouvriers dont il s’agit ici sont, pour la plupart, des individus qui, à défaut d’une habitation personnelle, passent leur vie entière dans des gîtes ouverts au premier venu.

En interrogeant les patrons, en observant les ateliers, les rédacteurs de l’enquête étaient arrivés à cette conviction que, « si tous les ouvriers qui logent en garni n’ont pas une conduite répréhensible, du moins presque tous ceux qui mènent une vie turbulente et dissipée habitent dans les garnis. » Ayant accepté la douloureuse mission de sonder les plaies de l’industrie, la chambre de commerce ordonna à ses agens de visiter les lieux où se réfugient ceux qui ne possèdent pas même le petit capital nécessaire pour acquérir les meubles les plus indispensables. Il est fâcheux que cette intéressante enquête n’ait pas été faite à une époque normale. Au moment où elle fut