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les ouvriers médiocres, et on tâche de s’attacher les bons en leur faisant faire des moitiés, des quarts de journée. Tenons compte de toutes ces circonstances en cherchant une moyenne qui exprime la généralité des faits, et nous reconnaîtrons qu’on est modéré en évaluant à 240 journées pleines et productives le labeur des ateliers parisiens.

J’accepte, bien que l’exagération en ait été démontrée dans plusieurs des pages qui précèdent, le chiffre qui exprime le salaire collectif de la population industrielle, savoir, en nombres ronds : 966,000 francs par jour. Cette somme, multipliée par 240, donne pour l’année un peu moins de 232 millions. Partagé également entre 323,452 parties prenantes[1], ce fonds commun donnerait par tête 716 francs de revenu. Voici à peu près comment la distribution se fait entre les diverses catégories de travailleurs :


Industrie particulière Nombre des parties prenantes Revenu collectif des salaires Revenu annuel par tête Somme à dépenser par tête et par jour
Hommes 204,925 186,432,720 f. 909 f. 2 f. 49 c.
Femmes 112,891 44,146,640 391 1 07
Enfans des deux sexes au-dessous de seize ans, non apprentis, 5,636 1,200,000 212 » 58
Totaux 323,452 231,779,360 f. « f. » f. » c.

Avec les revenus spécifiés ici, les gens rangés pourraient à la rigueur vivre honorablement. Par malheur, ces chiffres par lesquels les savans indiquent les degrés intermédiaires dans l’échelle de l’aisance sont de pures abstractions. Dans la vie positive, il suffit d’un petit groupe d’individus largement rétribués au milieu d’une foule nécessiteuse pour élever la moyenne générale à un taux satisfaisant en apparence. La majorité, qui reste du mauvais côté de la moyenne, n’en est pas plus heureuse pour cela. Ce qu’il importerait précisément de découvrir dans les recherches du genre de celles qui nous occupent, c’est le nombre des individus dont la détresse et le mécontentement pourraient offrir des dangers pour la morale privée ou la sécurité publique. Or il me paraît ressortir des données mêmes de l’enquête qu’à Paris, dans la population active des ateliers, qu’il ne faut pas confondre avec la population inerte nourrie par les bureaux de charité, on trouverait plus de 100,000 hommes ayant à dépenser moins de 2 fr. Par jour, et plus de 75,000 femmes réduites à vivre avec moins de 1 franc[2]. Des calculs qu’il est facile à

  1. On néglige ici les 19,000 apprentis qui travaillent sans rétribution.
  2. Le loyer d’une petite chambre coûtant 100 fr.; — 750 grammes de pain par jour, à 30 cent, le kilogr, faisant pour l’année 82 fr. ; — 3 décilitres par jour d’un mauvais vin à 50 cent, le litre, soit pour l’année 55 fr. ; — 80 cent, soit 292 fr. Par année pour les autres alimens; — 100 fr. Pour le costume; — 101 fr. qui restent pour l’éclairage, le chauffage, le blanchissage, le renouvellement du mobilier et les besoins imprévus : tout cela constitue la très modeste existence qui correspond à un revenu de 2 fr. par jour.