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REVUE DES DEUX MONDES.

Chacun plaidait à perdre tête
Devant ce juge malhonnête
Que rien ne pouvait émouvoir
Que le plaisir de faire pleuvoir
Sur tous ses cliens une grêle
De coups de poing, de coups de pelle.
Et l’audience ne finissait
Qu’après s’être arraché perruques et bonnet.

On le voit, d’après ces mauvais vers, Beaumarchais enfant aimait à faire le Bridoison ; seulement c’est un Bridoison un peu plus vif que celui du Mariage de Figaro ; sa fa-açon de penser est beaucoup plus accentuée. Il ne faudrait pas croire toutefois que l’enfance de Beaumarchais se passât tout entière en folles équipées. Le père Caron, dont on a pu apprécier les sentimens religieux, élevait sa famille très chrétiennement, et travaillait de son mieux, mais en vain, à tourner de ce côté l’esprit de son fils. « Mon père, dit Beaumarchais dans une note inédite, nous menait tous impitoyablement à la grand’messe, et quand j’y arrivais après l’épître, douze sous m’étaient retranchés sur mes quatre livres de menus plaisirs par mois, après l’évangile vingt-quatre sous, après l’élévation les quatre livres, de sorte que j’avais fort souvent un déficit de six ou huit livres dans mes finances. »

Quel genre d’instruction reçut Beaumarchais ? où fut-il élevé ? quelle fut sa vie d’écolier ? Le manuscrit inédit de Gudin, dont j’ai parlé, contient sur ce point le passage suivant : « Je ne sais, dit Gudin, par quelle circonstance le père de Beaumarchais ne le fit étudier, ni à l’université, ni chez les jésuites ; ces demi-moines, excellens instituteurs, auraient deviné son génie et lui auraient donné sa véritable direction. Il fut envoyé à l’École d’Alfort, il y acquit plus de connaissances qu’on ne cherchait à lui en inculquer ; mais ses instituteurs ne soupçonnèrent pas son talent : il l’ignora long-temps lui-même, et se crut destiné à n’être qu’un homme épris de tout ce qui est beau, soit dans la nature, soit dans les arts. Son père le rappela bientôt, résolu de l’élever dans sa profession et de lui laisser un établissement tout formé. » Cette mention par Gudin de l’École d’Alfort, sans autre désignation, m’avait d’abord remis en mémoire divers passages du Barbier de Séville et du Mariage de Figaro, où le héros est constamment représenté comme un ancien artiste vétérinaire, et je me demandais si par hasard le jeune Caron aurait d’abord été destiné par son père « à attrister, comme dit Figaro, des bêtes malades avant de faire un métier contraire ; » mais, l’école vétérinaire d’Alfort n’ayant été fondée qu’en 1767, c’est-à-dire à une époque où Beaumarchais avait trente-cinq ans, cette supposition tombe d’elle-même. Il faut donc conclure du renseignement fourni par Gudin qu’il existait vers 1742, à Alfort, quelque établissement d’éducation étranger à la fois à l’université et à la