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montant de ces cinq ventes successives, ou, pour parler le langage de l’enquête, évaluez l’importance des affaires faites par chacun des cinq industriels désignés, et vous obtenez le chiffre de 13,000 fr.; cependant il n’y a de production effective, de valeur créée, que le montant de la somme payée définitivement par le consommateur, c’est-à-dire les 6,000 fr. que le cordonnier a obtenus de ses pratiques. Chaque marchandise, subissant ainsi plusieurs façons avant d’arriver au public, est achetée et revendue tour à tour par les divers opérateurs qui concourent à sa fabrication. Le coton en laine est matière première pour le filateur, le fil pour le tisseur, la toile pour l’imprimeur sur étoffes. Chacun de ces industriels, faisant une avance de capitaux pour acquérir l’élément de son travail, le revend en ajoutant à son prix la valeur de ses propres manipulations.

Il ne faudrait donc pas prendre le gros chiffre qui totalise les ventes successives pour la mesure des consommations et des jouissances de la société parisienne. Quand un objet est vendu définitivement 100 fr, eût-il occasionné dans le commerce un roulement de capitaux dix fois plus considérable, il n’y a toujours que 100 fr. de revenus effectifs à partager entre ceux qui ont concouru à la création de l’objet, et d’autre part le bien-être des consommateurs n’est augmenté que dans la proportion de 100 fr.

En tenant compte 1° de la tendance qu’ont la plupart des industriels à exagérer l’importance de leurs établissemens, 2° de la reproduction à divers chapitres d’une même marchandise, combien devrait-on rabattre des 1,464,000,000 déclarés dans l’enquête, pour arriver à une estimation intrinsèque des produits parisiens? La question est très complexe. Il serait téméraire de hasarder une réponse avant d’avoir fait un travail de vérification, non-seulement sur la fabrique, mais sur le commerce proprement dit. Je signale les erreurs possibles et les causes d’illusion. Chacun cherchera, en ce qui l’intéresse, à se rapprocher autant que possible de la vérité.

On s’étonne de trouver en première ligne, pour l’importance des affaires, l’industrie du vêtement (241 millions) et de ne voir qu’au second rang le groupe des métiers concernant l’alimentation (227 millions). L’évidence démontre cependant qu’un peuple dépense plus pour se nourrir que pour s’habiller. C’est que l’enquête ne se rapporte qu’aux alimens qui donnent lieu à une manipulation industrielle, et néglige ceux que le commerce achète et distribue. D’après un classement quelque peu arbitraire, on a rangé parmi les industriels les bouchers, les boulangers, les pâtissiers, les charcutiers, et on a repoussé comme simples commerçans les rôtisseurs, les restaurateurs et les cafetiers, qui façonnent également les comestibles. Si on ajoutait aux produits alimentaires réputés industriels la valeur des autres denrées introduites, telles que vins, liqueurs, épiceries, poissons, volailles, œufs, légumes et fruits, on trouverait que les Parisiens dépensent pour leur nourriture une somme d’environ 452 millions : c’est un peu moins de 450 fr. Par tête. Le luxe des tables opulentes est compensé par le peu de dépense des petits enfans, des vieillards, des malades, ou par la sobriété forcée des gens extrêmement pauvres.

Le groupe du bâtiment, dont les affaires sont évaluées collectivement à 145 millions, aurait sans doute fourni un chiffre supérieur, si tous les