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Pour apprécier mieux ces résultats, il importe de se placer au point de vue que la chambre de commerce a dû choisir. A l’époque où l’enquête fut entreprise, en 1848, donner aux investigations une trop grande notoriété, provoquer une controverse publique sur les points contestables, c’eût été attiser une effervescence dont la majorité du pays s’effrayait. La chambre recula devant une telle responsabilité, et s’en tint à consulter silencieusement les patrons, en se réservant de contrôler, de rectifier les déclarations douteuses. Cette méthode n’était pas sans écueils. Vous interrogez un fabricant sur l’importance de ses affaires : sa vanité, plus encore que son intérêt, le pousse à en grossir le chiffre. Vous lui demandez le nombre des personnes qu’il occupe : il vous répond, non pas en cherchant la moyenne de l’année, mais en prenant pour base l’époque de ses plus forts travaux. Vous désirez connaître les salaires de ses ouvriers : plus il est enclin à les réduire et plus il se vante de les payer cher. La chambre de commerce, qui a procédé avec une loyauté à laquelle on doit rendre pleine justice, s’est tenue en garde contre les exagérations de ce genre. Chaque fois qu’un renseignement lui a paru suspect, elle l’a soumis au contrôle le plus sévère : certains bulletins ont été recommencés cinq ou six fois; mais ces rectifications faites par aperçu ont-elles tranché assez profondément dans le vif pour ramener les déclarations dans les limites exactes de la vérité? Je ne dissimulerai pas les doutes que je conserve à ce sujet, persuadé d’ailleurs que mes critiques, loin d’affaiblir la reconnaissance due aux auteurs de l’enquête, ne serviront qu’à mieux faire ressortir les difficultés de leur entreprise.


II. — IMPORTANCE DES AFFAIRES.

L’enquête ayant été conçue primitivement en vue des populations ouvrières, dont on voulait constater l’état matériel et moral, on résolut de circonscrire les recherches dans les limites du monde industriel. Rien de plus net en théorie; mais, dans la pratique, où finit l’industrie? où commence le commerce? Tel fut le premier problème qui se présenta et qui fut ainsi résolu : « Tout entrepreneur, s’est-on dit, qui fait subir aux produits par son travail un changement quelconque, est un industriel ; tous ceux qui se bornent à revendre les produits tels qu’ils les ont achetés, sans autre façon qu’un transport ou un fractionnement nécessaire à la vente, sont des commerçans. »

On espérait que le recensement individuel des entrepreneurs conduirait à connaître le nombre des ouvriers; mais on remarqua bientôt que beaucoup de ceux-ci, travaillant à façon pour plusieurs maisons à la fois ou desservant une clientelle de particuliers, donneraient lieu nécessairement à des erreurs, que tantôt il y aurait double emploi, et tantôt omission. On prévint cet inconvénient en faisant recenser et en classant parmi les entrepreneurs tout individu travaillant à domicile et non attaché d’une manière spéciale à un établissement particulier. Cette méthode donna les résultats suivans :


7,117 patrons occupant plus de 10 ouvriers,
25,116 occupant de 2 à 10 ouvriers,
32,583 n’employant qu’un auxiliaire, ouvrier ou apprenti, et le plus souvent travaillant seuls.
64,846