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Les plus vieilles chroniques de la Vénétie racontent que, pendant le siège d’Aquilée, le roi des Huns, ne sachant où faire hiverner ses troupes, prit la résolution de construire une place forte dans le voisinage, et choisit pour cela le lieu où se trouve actuellement Udine. Ce lieu par malheur était une plaine; le roi voulait une montagne: que faire? L’armée se mit en devoir de lui en procurer une : chaque soldat apportant de la terre plein son casque et des pierres sur son bouclier, la colline s’éleva en trois jours comme par enchantement, et Attila y bâtit Udine. Cette fable passait au XIIIe siècle pour une vérité qu’il eût été imprudent de nier trop haut dans les murs de la ville des Huns. Le célèbre chroniqueur Otto de Freisingen, qui l’entendit de la bouche même des habitans, n’en éprouva qu’un sentiment d’admiration. «Je contemplai, dit-il, l’œuvre gigantesque accomplie en si peu de temps par une si grande multitude. » Au XVIe siècle, la foi en cette tradition n’avait point faibli, et un patriarche udinois, à propos de quelques fouilles faites dans la colline, eut la pensée de vérifier le travail des Huns : on creusa; on trouva parmi les pierres des fragmens d’armures et un casque; ce casque fut de droit celui d’Attila. Le patricien Candidus, auteur estimé de la chronique d’Udine, a bien soin de distinguer dans son livre l’enceinte d’Attila de celles qui se sont succédé depuis le Ve siècle. Naguère encore, on entretenait en bon état une tour carrée d’apparence romaine et faisant partie des vieilles constructions : c’était une relique chère au cœur du peuple, et tout bon habitant d’Udine, en la montrant à l’étranger, disait avec une sorte d’orgueil : « Voilà la tour d’Attila ! »

Que la Toscane, pour n’être pas en reste avec les autres provinces italiennes, avec la Campanie, la Calabre, la Pouille, ait fait guerroyer Attila dans ses campagnes en dépit de l’histoire, c’était le droit commun au moyen-âge, et elle a pu en user à son tour; mais elle ne s’en tint pas là : deux de ses villes, Florence et Fiesole, forgèrent à ce sujet un roman qu’elles rattachèrent à leur propre histoire de la façon la plus incroyable. Et il ne s’agit pas ici de quelque opinion vulgaire, recueillie chez une multitude ignorante; il s’agit de faits appuyés sur des textes et exposés sérieusement par deux écrivains célèbres, Malespini et Jean Villani : la chose est grave assurément, et je laisserai la parole aux historiens florentins.

Tous les amis des lettres connaissent Malespini, ce vieil annaliste qui crayonna, au XIIIe siècle, les premières pages de l’histoire de Florence. Les aventures de sa famille se liaient aux catastrophes qui frappèrent dans le XIe siècle la ville infortunée de Fiesole, que les Florentins, après une longue guerre civile, détruisirent de fond en comble et dont ils transportèrent les habitans dans leurs murs. Eh bien! cette guerre, c’est Attila qui l’avait causée; ces cruautés des Florentins