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l’encourage au viol et au meurtre, qui vient jouir du martyre de l’évêque saint Nicaise et de sa sœur sainte Eutropie ; « il se tenait près de la porte, on l’y a vu, » dit la légende. Ainsi que le diable lui-même, l’Attila fléau de Dieu est sarcastique, vain dans ses paroles et hideux à voir ; mais, comme le diable aussi, il est facile à tromper, on le joue, on le bafoue sans qu’il s’en doute. C’est le type de Satan au moyen-âge, la crédulité jointe à l’esprit de malice. La légende exploite parfois avec un bonheur comique cette idée d’un Attila naïf et crédule. Quand les Huns ont martyrisé près de Cologne les onze mille vierges compagnes de sainte Ursule, Attila offre à celle-ci de l’épouser en réparation d’honneur ; mais elle le repousse honteusement : « Retire-toi, lui dit-elle ; j’ai dédaigné la main de César, ce n’est pas pour appartenir à un maudit tel que toi ! » Quelquefois la légende engage entre ses interlocuteurs et lui des dialogues dans lesquels on l’endoctrine, on le promène, on le raille ; souvent aussi il se montre généreux, chevaleresque, disposé à servir toutes les bonnes causes. Cette nouvelle physionomie du fléau de Dieu se dessine pour la première fois, du moins à ma connaissance, dans le récit d’un prétendu siège de Ravenne, lequel se serait passé en 452 sous l’épiscopat de saint Jean. Le récit dans sa rédaction primitive appartient au pontifical d’Agnellus, prêtre ravennate, qui écrivit au IXe siècle sur les archevêques de son pays, et d’après de vieux documens, un livre qui jette beaucoup de jour sur les idées et les traditions du moyen-âge italien.

On avait oublié, à l’époque d’Agnellus, qu’Attila, resté au nord du Pô pendant toute sa campagne de 452, n’assiégea point Ravenne, ou plutôt Ravenne voulait avoir été assiégée en dépit d’Attila ; son ancienne importance sous les Césars et ses prétentions pendant l’exarchat ne lui permettaient pas de supposer qu’on put l’avoir dédaignée quand on menaçait Rome. Partant de cette supposition, Agnellus nous fait de l’arrivée des Huns, devant la ville de Valentinien, une peinture qui ne manque pas de vivacité ; il nous les montre longeant la mer, et, dans leurs évolutions rapides, inondant la plaine, qui disparaît sous leurs escadrons : telle une nuée de sauterelles couvre les sables où elle s’abat. Bientôt se présente Attila, montant un cheval richement orné, lui-même cuirassé d’or, un bouclier au bras, une aigrette brillante sur le front : il médite le siège de la ville. L’évêque Jean, effrayé, se met en prière et offre à Dieu son sang pour la rédemption de son troupeau : une vision le rassure et l’avertit d’aller trouver le chef des ennemis. Il sort donc aux premières lueurs du jour avec tout son clergé vêtu de blanc, croix en tête, bannières déployées, encensoirs fumans, et la procession défile au chant des psaumes sur la longue et étroite chaussée qui conduisait de Ravenne au camp d’Attila.

Mais déjà ce roi avait endossé le manteau de pourpre brodé d’or, ni