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le gouvernement turc. On sait comment, jeune encore, Abd-el-Kader était arrivé à balancer notre puissance en Afrique. Il fallut l’habileté et l’énergie persévérante de l’illustre maréchal Bugeaud pour le réduire de toutes parts à l’impuissance. C’est le 27 décembre 1847 que l’émir se rendait à nos généraux, en stipulant son transfert en Orient. Au fond, Abd-el-Kader n’était point sans doute un rebelle ordinaire ; c’était un homme défendant sa religion et sa patrie. Quand même on ne lui aurait rien promis, nous ne savons jusqu’à quel point on serait dispensé d’être généreux envers lui. Mais la générosité choisit son heure, et même alors elle a encore souvent ses périls. Jusque-là il y a des nécessités politiques qui parlent à l’esprit de tous les pouvoirs et auxquelles tous se sont également rendus, depuis le gouvernement de juillet, qui n’a eu d’ailleurs Abd-el-Kader en ses mains que six semaines, jusqu’au gouvernement républicain, qui l’a gardé près de cinq ans. Au point de vue de la sécurité de l’Algérie, quelle influence peut avoir l’acte de générosité du prince Louis-Napoléon ? Nous ne croyons pas que notre puissance sur l’autre bord de la Méditerranée puisse tenir à la liberté ou à la captivité d’un homme, — ce qui ne veut point dire qu’il n’y ait peut-être lieu à un redoublement de vigilance. Abd-el-Kader a fait serment sur le Koran de ne point troubler notre domination ; mais il peuo y avoir dans le Koran bien des choses que nous ne savons pas, et nous tenons l’Afrique pour mieux garantie par l’épée de nos soldats que par la bonne volonté de l’émir. Le voyage du prince Louis-Napoléon s’est trouvé ainsi parsemé d’actes et d’incidens d’un caractère sérieux, et qui touchent à des intérêts très divers. La création des docks parisiens s’y môle à la mise en liberté d’Abd-el-Kader, et au premier rang il reste toujours le discours de Bordeaux, qui est allé retentir en Europe et éveiller tous les commentaires dans les chancelleries comme dans la presse de tous les pays.

À travers les changemens et les transformations politiques dont notre histoire contemporaine porte tant de traces, et dont ces derniers actes eux-mêmes ne sont, en un certain sens, que les signes, il est souvent curieux de pénétrer plus avant, de descendre jusqu’à ces choses permanentes de la vie d’un peuple qui établissent une sorte de solidarité entre tous les régimes. Il y a un rare intérêt, par exemple, à se rendre compte du développement des forces productives de la France, du développement de la moralité publique. La statistique peut singulièrement aider à ce genre d’observations. Que de lumières peut quelquefois contenir un simple chiffre ! Il y a quelque temps, c’est le mystère de la puissance commerciale du pays que nous demandions à une statistique officielle. Aujourd’hui c’est une publication administrative nouvelle qui permet de suivre le mouvement de la justice criminelle en France. Or la justice touche beaucoup plus intimement encore à la politique, à la morale. Nous connaissons peu de publications plus instructives et plus saisissantes que celle-ci, qui ne s’étend plus seulement à une année ou à un espace restreint, mais qui embrasse une période de vingt-cinq années durant laquelle deux révolutions ont éclaté. Dans ce mouvement de la criminalité en France, il y a un fait qui frappe dès l’abord : c’est le sensible accroissement du nombre des infractions à la loi en général. De 1826 à 1830, le chiffre des plaintes était, en moyenne, par an, de 114,181 ; de 1846 à 1850, il s’est élevé à 225,982. Et quel est