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rèrent l’enfance et la jeunesse de Beaumarchais. Jeanne-Marguerite Caron paraît avoir reçu une éducation brillante. Elle était très bonne musicienne, elle jouait très bien de la harpe, avait une voix charmante, et de plus elle était jolie. Elle composait facilement des vers, comme sa sœur Julie, et, sans être peut-être aussi remarquable qu’elle par l’intelligence, elle avait l’esprit vif et gai qui distingue toute cette famille. Dans son enfance et sa première jeunesse, on l’appelait Tonton, diminutif de Jeanne et Jeannette. Quand son frère, devenu homme de cour, eut partagé avec sa sœur Julie le nom brillant de Beaumarchais, il trouva pour sa plus jeune sœur un nom encore plus élégant : il l’appela Mlle de Boisgarnier[1], et c’est sous ce nom que Mlle Tonton se produisit avec succès dans quelques salons. « Rien de plus beau, écrit le père Caron à son fils à la date du 22 janvier 1765, rien de plus beau que la fête de Beaufort, un concert d’instrumens admirables. Boisgarnier et Pauline[2] y ont brillé à l’ordinaire. On y a dansé, après le concert et le souper, jusqu’à deux heures ; il n’y manquait que mon ami Beaumarchais. »

Dans sa correspondance de jeune fille, Mlle de Boisgarnier apparaît sous la forme d’une petite bourgeoise très civilisée, très élégante, un peu indolente, passablement moqueuse et assez amusante. Elle tient sous ses lois un martyr, un souffre-douleur, un amoureux long-temps malheureux, mais qui, après plusieurs années de tourmens, finit cependant par toucher ce petit cœur un peu dédaigneux ; — c’était le fils d’un secrétaire du roi, nommé Denis Janot, qui, en achetant une de ces charges qui conféraient la noblesse, avait transformé son nom un peu roturier en celui de Janot de Miron, puis de Miron tout court. Beaumarchais, qui avait précisément acheté la charge du père, était très lié avec le fils. Ce dernier, qualifié avocat en parlement, fut ensuite nommé intendant des dames de Saint-Cyr. Il vivait dans l’intimité de la famille Caron et était fort épris de Mlle de Boisgarnier, qui, sans le repousser absolument, le trouvant, à ce qu’il paraît, un peu dépourvu d’élégance, ne montrait pas beaucoup d’empressement à l’accepter pour époux. Beaumarchais, sans vouloir contraindre les inclinations de sa sœur, approuvait les vues de son ami Miron.

Cependant, un jour qu’il avait paru songer pour Mlle de Boisgarnier à un autre mariage, Miron se fâche, et lui écrit à Madrid, où il se trouvait alors, une lettre des plus blessantes. Beaumarchais, irrité, riposte sur le même ton. Mlle de Boisgarnier prend parti pour son frère contre

  1. Ce nom n’est pas de l’invention de Beaumarchais : je vois dans ses papiers de famille qu’il était porté par un frère du père Caron, qualifié Caron de Boisgarnier, lieutenant au régiment de Blaisois.
  2. Pauline est une jeune et belle créole que nous retrouverons dans la vie de Beaumarchais.