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excursions en Italie, en Grèce, en Espagne, su allier la sévérité et l’exactitude des observations à l’élégance et à la pureté de la forme? Ici, rien de semblable; ici, les observations ne peuvent guère se comparer qu’aux figures formées par les nuages, dont on s’amuse un instant, mais qu’efface le moindre souffle de la scène mobile et du souvenir; ici, on comprend tout de suite à la nature fragmentaire du travail qu’il est né d’une improvisation quotidienne. Ainsi certains chapitres de Caprices et Zigzags, acceptables dans le cadre éphémère où ils se sont d’abord produits, figurent gauchement dans le monde du livre. Quel intérêt peuvent maintenant offrir une Chasse de rats, les Bayadères à Paris, les Produits de l’Inde à l’Exposition et la Jonque chinoise? Dans un Tour en Belgique, même absence des vraies conditions d’un succès durable. Le touriste nous prévient que sa course triomphante en Belgique n’est qu’un voyage à la recherche du bouffon. Ce voyage n’a malheureusement que trop réussi. C’est à peine si on y rencontre çà et là quelques pages écrites avec simplicité, et presque tout le volume se maintient avec une monotonie désespérante au niveau de la sublimité dans le grotesque. Dans Italia, M. Gautier a échoué sur l’écueil qu’il redoutait le plus, et cela à cause de son dédain du côté sérieux des choses. Lui qui porte aux guides une haine égale à celle qu’il nourrit contre les bourgeois, il n’a guère composé qu’un guide à Venise. Le moment était bien choisi néanmoins pour étudier d’un point de vue élevé la ville si héroïquement défendue contre la domination autrichienne. Henri Beyle n’eût pas failli à cette tâche, lui qui, avec tant de profondeur et de sagacité, plaidait dès 1817 la cause de l’Italie, la vengeait des outrages de ses vainqueurs, et nous en révélait l’esprit et le génie. Saisi par le contraste entre la vie du Nord et celle du Midi, il avait fouillé dans l’ame et les mœurs de cette belle contrée, pour y chercher, comme le mot d’une énigme, les causes de son affaissement moral et de sa décadence politique. En relisant aujourd’hui Rome, Naples et Florence, on est frappé de la justesse de certaines prévisions auxquelles les événemens de 1848 ont donné pleinement raison; mais Stendhal appartenait à la littérature des idées plus qu’à celle des images, et regardait surtout avec l’œil intérieur. M. Gautier, qui fait fi des considérations morales ou philosophiques, ne raconte que ce qu’il aperçoit avec son lorgnon, et ne met son lorgnon que devant une œuvre d’architecture ou dans un musée : voilà pourquoi Italia n’est qu’un guide.

Nous ne suivrons pas M. Gautier à travers la Suisse, sur laquelle Saussure n’a laissé presque rien à dire. Nous n’accompagnerons le voyageur ni à Milan, ni à Venise, où ses descriptions ne rajeunissent que par la forme le palais des doges, l’église Saint-Marc et les lagunes, ce thème vieilli des impressions de voyage. Il vaut mieux se placer ici avec M. Gautier sur le terrain des arts, d’autant plus que, s’il n’a point tenu tout ce que son aptitude en peinture donnait le droit d’espérer, il a néanmoins récolté bon nombre d’observations ingénieuses. Il est d’accord avec son épicurisme littéraire dans sa prédilection pour l’école sur laquelle Michel-Ange portait ce jugement : « Quel dommage qu’à Venise on n’apprenne pas à dessiner ! » S’il ne craignait de contredire ouvertement la voix universelle, s’il osait formuler ses secrètes sympathies, il intervertirait volontiers les rangs qu’ont assignés les siècles aux écoles italiennes. Sans doute il rend hommage à Raphaël, j’en atteste