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d’un passage de Cyrano de Bergerac rappelle à la lecture les saillies qu’il affectionne. Je ne citerai que cette phrase entre mille du même genre : « Les pensées que nous donnait la lune, cette boule de safran, nous défrayèrent sur le chemin; les yeux noyés dans ce grand astre, tantôt l’un le prenait pour une lucarne du ciel, tantôt un autre affirmait que ce pouvait bien être le soleil lui-même, qui, s’étant au soir dépouillé de ses rayons, regardait par un trou ce qu’on faisait au monde quand il n’y était pas. » Ne croirait-on point cette facétie détachée des pochades de Caprices et Zigzags? N’est-ce pas le même marinisme quintessencié dans l’image? L’apologie des Grotesques péchait par absence d’érudition consciencieuse; elle n’eut qu’un succès d’étonnement d’abord, de fou rire ensuite, et l’on conclut que M. Gautier, las de se moquer de tout et de tous, avait peut-être voulu, pour se distraire, se tourner lui-même en ridicule. Aux Grotesques succédèrent Trà los montes, où l’abus des couleurs tranchées avait du moins pour excuse l’exactitude du paysage, puis un recueil de vers sur l’Espagne, Vers et livre cependant ne suffisaient pas à hausser d’une assise la réputation de l’écrivain, et, en présence des quatre nouveaux ouvrages qu’il vient de publier, Italia, Zigzags, Émaux et Camées, Un Trio de romans, nous craignons qu’il ne faille désespérer.

D’où vient donc cette persistance dans un genre faux d’une manière absolue, faux par rapport au poète lui-même? Elle vient de l’enivrement de la louange. L’enflure et le mauvais goût chez les fantaisistes sont l’idéal auquel on aspire et les titres qui font le maître. M. Gautier a pu croire un moment avoir atteint cet idéal; mais le temps n’est peut-être pas éloigné où le romantique à tous crins, comme il s’est appelé, paraîtra timide et timoré. La fantaisie est, avons-nous dit, l’enfant dégénéré de ce qu’on a nommé le romantisme; elle en a gardé l’esprit d’opposition à tout ce qui, dans le présent et dans le passé, marche prudemment sous la sauvegarde des règles. M. Gautier les dédaigne par caprice, lui, et, mieux qu’un autre, il pourrait, s’il le voulait, rentrer sous leur loi; ceux qui l’imitent sont loin d’être dans ce cas. Ils bravent les règles par commodité, soit qu’ils les ignorent, soit qu’ils trouvent que s’astreindre au bon sens, à la syntaxe, à l’unité, exige une dose de travail qui leur répugne. Il n’y a, par cela même, rien que de naturel dans l’admiration qu’ils professent pour un écrivain qui, tout en se jouant des difficultés les plus ardues de la langue, appelle l’érudition pédantisme, foule aux pieds avec la plus grotesque irrévérence les idoles du passé, et déclare absurde toute entrave. « Vous avez créé, lui dit l’un, une langue dans la langue pour noter la gamme des tons. » — « Votre poésie, dit un autre, donne les savoureuses sensations des glacis et des empâtemens des grands coloristes. » Et ces dithyrambes montent à la tête de celui à qui ils s’adressent. Il aime mieux paraître grand au milieu des petits que de se confondre avec noblesse et modestie dans l’assemblée des grands. Par malheur ces hymnes, chantés à la gloire des écrivains qui veulent à tout prix rester les premiers entre les médiocres, ne parviennent à tromper personne. Singulière analogie ! j’ai sous les yeux une brochure publiée en 1625, par un des beaux esprits du temps, à la louange de Théophile; elle est intitulée le Triomphe des muses d’Hippocrène. On y fait Théophile l’émule d’Homère, d’Hésiode et de Virgile; on l’appelle le poète aimé des dieux par allusion à son nom. Or, en dépit de la réhabilitation