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livre que ni Laclos ni Crébillon fils n’eussent consenti à signer. D’autres fois encore, la carrière romantique de M. Gautier a resplendi de quelques éclairs de vrai talent. On était donc en droit d’espérer que, renonçant à ses débauches de style bigarré, il se prendrait enfin au sérieux, tracerait un but à son activité et se dégagerait de toutes les chaînes qu’il s’était imposées : prodigalité d’images, enluminures forcées de la période, amour de l’innovation poussé jusqu’à la gageure, et surtout affectation perpétuelle à jouer le rôle de bouffon et d’homme jeune. L’espérance de le voir élever son monument parut se réaliser le jour que M. Gautier publia la Comédie de la Mort; l’éloge fut à peu près unanime. L’auteur y révélait pour la première fois, que dis-je! pour la seule fois, le caractère vrai de sa nature, la disposition de son tempérament intérieur, bien différent du tempérament d’homme gras dont s’était bénévolement gratifié, en un moment de joviale humeur, le futur panégyriste du burlesque Saint-Amand. Les élémens du livre sont une tristesse profonde, — un découragement amer des choses de la vie où tout semble faux au poète, sans doute par l’habitude qu’il a prise de poser sans cesse et de travestir sa pensée, — le désenchantement général d’une ame qui, pour échapper à l’effroi du vide, se rejetterait volontiers dans le mysticisme du moyen-âge, si la croyance qui lui est impossible n’était par malheur la première étape de la route. On comprend que l’angoisse du sommeil éternel a passé par le cœur de l’écrivain : ne pouvant donc croire, il invoque le panthéisme en désespoir de cause, et, dans sa terreur de la tombe et du néant, se rattache avec rage aux jouissances terrestres. Aussi un naturalisme effréné plane sur toute la partie significative du volume, naturalisme qui mérite d’être mis en évidence, car on le retrouvera tout à l’heure dans Émaux et Camées, mais il n’y sera plus relevé par l’acre saveur du désespoir, il dépouillera sa forme chastement gothique et tournera au paganisme le plus sensuel.

Sans doute l’invention entre pour peu de chose dans la Comédie de la Mort : quelques pages de l’Ahasvérus de M. Quinet, quelques emprunts à Jean-Paul et à Goethe constituent, quant au fond, le bilan de l’œuvre; mais que les idées aient été inventées, ou seulement glanées et reliées en gerbe, elles sont senties, elles sont un cri du cœur. Ce jour-là, M. Gautier a cru à lui-même, et l’événement est assez rare pour qu’on le constate. Or, la croyance, la foi, — fût-ce la foi du néant, — porte tellement bonheur, que les défauts habituels du style de l’écrivain ne se retrouvent que très rarement dans le livre. On allait enfin saluer un poète, oublier les Jeune-France, ne se souvenir que de la préface de Mademoiselle de Maupin et de la nouvelle du Roi Candaule, travail de lapidaire, miniature d’une rare délicatesse d’exécution. Tout à coup M. Gautier, par espièglerie, se met à tirer de leur suaire les poètes les plus mal famés de la littérature Louis XIII, devant la résurrection desquels avaient reculé les plus exaltés romantiques. Tout en brisant visière à la tradition, tout en se déclarant indépendant, l’auteur, par la réhabilitation des Grotesques, établissait un lien entre eux et la nouvelle école, et cela par des allusions nominatives, rapprochement qui fut, je crois, plus nuisible qu’agréable à nos contemporains ainsi désignés. Il est vrai, pour ce qui regarde personnellement M. Gautier, que, par sa poésie, il se rapproche souvent des poètes français du commencement du XVIIe siècle. Quant à sa prose, plus