Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 16.djvu/589

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de rire, ils sont factices; il y a de l’ivresse, elle est simulée; il y a du talent, un talent incontestable même, et dont les efforts sont inconnus au vulgaire : il n’est employé qu’à tenir un masque, qu’à se bien draper pour ne point révéler le vide du cœur. C’est une jeunesse, en un mot, qui se révolte contre le temps et ne sait point, son heure venue, courageusement disparaître.

« Le moyen de ne point vieillir est de ne point rester jeune : » ce piquant apophthegme littéraire, attribué à Nodier, s’applique aux écoles aussi bien qu’aux écrivains considérés isolément. C’est pour ne s’être pas pénétrées de cette pensée que la plupart d’entre elles s’éteignent et meurent. Dès que les hommes qui les ont créées ou illustrées ne sont plus, une génération arrive qui renchérit sur eux et met en évidence la limite qui ne devait point être franchie et dans laquelle ils s’étaient renfermés. Ce phénomène signale le déclin d’une littérature, et que ces derniers venus se nomment alexandrins, grotesques, beaux-esprits ou fantaisistes, qu’ils se nichent dans un pan de la soutane de Rabelais, se coiffent de la perruque de Voltaire, ou se pavanent sous la cape de l’hidalgo romantique, comme ils ont une communauté de tendances imitatrices, ils ont une communauté de caractères. Ils sont subtilement naturels, laborieusement téméraires; ils préméditent avec soin, et, selon eux, le talent suprême consiste à déduire avec artifice ce que les impressions ont de plus excentrique et de plus capricieux. Viennent enfin les derniers d’entre les derniers, chez qui la préciosité de la phrase égale au moins le dévergondage de l’imagination. De même cependant que les écrivains supérieurs se reconnaissent, en dépit des siècles, d’une même famille, ces écrivains de décadence se gardent bien de briser la tradition qui les relie à travers les temps. Dans notre littérature, par exemple, les beaux-esprits du XVIIIe siècle relèvent des grotesques du XVIIe, au même titre que les fantaisistes de nos jours relèvent des beaux-esprits. Grotesques, beaux-esprits, fantaisistes, sont trois mots synonymes : tous trois désignent une même théorie où domine le même ferment d’opposition contre le spiritualisme de l’art; tous trois signifient la métaphore faisant saillie sur l’idée, la couleur exclusivement locale, l’image à tout prix, une sorte de mascarade à paillettes et à oripeaux écarlates. L’école fantaisiste est donc logique, lorsque, cherchant ses lettres de noblesse dans des apologies rétrospectives, elle ressuscite les gongoristes et les beaux-esprits oubliés, Théophile, Saint-Amand, Cyrano, Voisenon et Boufflers, et réédite, avec notes et préfaces, leurs colifichets littéraires, leurs marquetteries de boudoir. On ne saurait pourtant affirmer si jamais, autant qu’en nos jours d’innovations audacieuses et d’explorations sur des rives inconnues, le mépris des règles est devenu une véritable folie. Jadis, dans les plus grands écarts, on respectait le vieux quid decet français, cette religion de nos pères, qui se composait du goût et du sentiment de la convenance : nos aventuriers de poésie en font aujourd’hui bon marché. Le goût, vertu éminemment jalouse et négative, réprouve, ils le savent d’avance, leurs entreprises; mais le goût est une vertu : n’est-ce point un motif suffisant de le braver pour ceux qui trouvent que la pudeur est maigre et que les vertus sont malingres? En outre ils ont de moins que leurs prédécesseurs du dernier siècle l’esprit, cette grande absolution de Fontenelle et de Rivarol. On sent qu’ils sont atteints des deux maladies du siècle, la tristesse et l’ennui; lors même qu’ils atteignent à la bouffonnerie, ils ne sont