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année du XVIIIe siècle, Faustina Bordoni fut destinée dès son jeune âge à la carrière dramatique. Intelligente, vive et pleine d’ambition, elle étudia avec ardeur les principes de la musique sous Francesco Gasparini, qui avait été le maître de Marcello et le directeur du conservatoire della Pietâ. Les rares dispositions de la Faustina, les charmes de sa personne et les magnificences de son bel organe fixèrent l’attention du grand Benedetto Marcello, l’auteur des admirables psaumes que tout le monde connaît. Il eut occasion de rencontrer la jeune Faustina chez son amie Isabella Renier Lombria, qui tenait dans son salon des conversazioni très recherchées des hommes à la mode. Marcello attira la Faustina dans son palais, qui était situé sur le Grand-Canal, et dont il avait fait aussi une sorte d’académie où se rendait tout ce qu’il y avait à Venise de poètes et de musiciens célèbres.

Marcello était un grand seigneur dont l’illustration historique était rehaussée par une vaste érudition, par un esprit mordant et plein de malice, par un noble caractère et un génie de premier ordre. Cultivant la poésie, la littérature et surtout la musique en amateur, il se plaisait à encourager la jeunesse studieuse de sa bourse et de ses conseils. Il donna des leçons à la charmante Faustina, il lui apprit à bien respirer, à poser la voix, et à dire le récitatif, qui était, selon Marcello et les meilleurs maîtres du commencement du XVIIIe siècle, la partie la plus importante de l’art de chanter. Il travaillait alors à ses psaumes, dont le texte avait été traduit en vers italiens par son ami Girolamo Justiniani, un autre grand seigneur de Venise qui ne se contentait pas non plus des avantages qu’il tenait de la naissance. La Faustina fit ses premiers débuts à Venise, à l’âge de seize ans, dans Ariodante, opéra d’un compositeur obscur, Polarolo. Devant ce peuple d’artistes qui savait concilier le sérieux de la politique avec les folles distractions d’une vie de plaisir, les soucis du commerçant avec les fantaisies d’un gentilhomme, son succès fut éclatant. Néanmoins, soit que la Faustina fût mécontente d’elle-même, soit plutôt que son illustre maître Benedetto Marcello lui eût fait comprendre tout ce qui lui manquait encore pour atteindre le but que sans doute il avait assigné à son ambition, elle disparut tout à coup de la carrière et passa quelque temps dans la retraite à méditer, à étudier les parties les plus difficiles du bel art d’enchanter les hommes. Elle reparut sur la scène en 1717; plus sûre d’elle-même, son triomphe fut complet et ne rencontra plus que des cœurs soumis. Faustina fut bientôt appelée à Florence, où elle excita des transports d’enthousiasme dont il nous reste un témoignage irrécusable : c’est une médaille qu’on fit frapper en son honneur. Naples voulut aussi admirer une si charmante divinité. La Faustina débuta dans cette grande ville en 1722 dans un opéra de Léo, Bajaset, et son succès y fut aussi complet qu’à Venise et à Florence.