Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 16.djvu/557

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se dissiper en fumée. La nouvelle phase où il vient d’entrer atteste un vigoureux élan et des ressources fécondes. Je ne parle pas de Michel-Ange, drame anecdotique en deux actes, qui n’est guère qu’une préparation du poète et comme un prélude aimable à l’entrée d’une carrière plus haute: je parle de la belle tragédie, Agnès Bernauer, représentée, il y a quelques mois, à Munich avec un légitime succès et que déjà bien des scènes se disputent. Michel-Ange est la peinture de l’artiste méconnu et des triomphes qui le vengent. Il n’est pas impossible que l’auteur ait songé à lui-même en traçant ce tableau : un goût timoré, semble-t-il dire, lui a reproché ses hardiesses, comme les envieux reprochaient à l’auteur du Moïse les brusqueries grandioses de son ciseau. Pardonnons à M. Hebbel ce fastueux rapprochement, s’il est vrai qu’il ait prétendu se l’appliquer à lui-même; l’intention, en tout cas, est assez discrètement voilée pour qu’on n’y voie pas autre chose qu’un ingénieux plaidoyer mis sous le patronage d’un maître incomparable. Ce qu’il faut surtout remarquer ici, c’est l’adoucissement de l’âpreté première chez le grand artiste florentin et sa réconciliation avec Raphaël. Qu’est-ce que Raphaël, sinon la beauté pure dans sa perfection harmonieuse? M. Hebbel a fait comme le maître qu’il invoque : il s’est réconcilié avec le beau, il aspire à l’harmonie sans dédaigner la force. Voilà bien ce prélude que j’annonçais tout-à-l’heure, et M. Hebbel en a réalisé les espérances le jour où il a livré au théâtre la tragédie d’Agnès Bernauer.

Le sujet choisi par le poète est emprunté aux annales du moyen-âge germanique. C’est l’histoire de cette belle Agnès, fille d’un artisan de Ratisbonne, qui inspira un si violent amour au duc Albert, fils d’Ernest, duc de Bavière, et qui, devenue la cause innocente d’un conflit parricide, fut condamnée à mort et livrée au bourreau. M. Hebbel a vu dans cet épisode oublié l’étoffe d’une admirable tragédie. Les passions qu’il met en jeu sont simples et puissantes. La lutte de l’amour et du devoir, quel sujet plus connu, mais aussi quelle plus féconde matière! Dirigé et contenu par les lignes bien dessinées de son cadre, M. Hebbel pourra déployer sans crainte l’audacieuse pénétration qui lui est propre; il sera profond sans jamais être obscur, il s’élèvera vers les hauteurs qu’il aime sans risquer de se perdre au sein des nuages. Le duc Albert est le fils d’un souverain qui a consacré toute sa vie à rétablir la grandeur écroulée de la Bavière; il faudra bientôt qu’il maintienne et continue cette tâche. Des branches rivales de la famille régnante, des vassaux insubordonnés, des seigneurs rebelles, mettent sans cesse en péril l’unité de la patrie; les intérêts les plus sacrés reposeront un jour sur la tête d’Albert; il ne s’appartient plus, il appartient à l’état et au peuple. Ce rôle du souverain est magnifiquement glorifié dans l’œuvre de M. Hebbel; ce n’est pas seulement le duc de Bavière qui