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forme nouvelle, la tragi-comédie, dont cette petite pièce doit révéler la véritable nature. Les gendarmes de M. Hebbel, c’est lui qui l’affirme, font à la fois pouffer de rire et trembler d’horreur. Vraiment on ne s’en serait jamais avisé, et l’auteur a bien fait de prévenir le spectateur bénévole. Il faut ajouter pourtant que M. Hebbel lui-même n’est pas complètement édifié sur le caractère de sa tragi-comédie, et que, dans une préface d’une naïveté particulière, s’adressant à un critique célèbre, au savant et ingénieux M. Rœtscher, il lui demande une dissertation sur cette forme si neuve et jusqu’à présent si mal interprétée. Le poète a accompli sa tâche; que le commentateur songe à la sienne ! « Quand ma pièce parut, ajoute-t-il ingénument, on la prit pour une tragédie, et de là les appréciations les plus étranges, marque certaine que, pour un critique philosophe, il y a là quelque chose à faire. » Heureux poète, qui peut livrer son œuvre aux commentaires avec cette tranquillité majestueuse ! Tradidit mundum disputationibus. Quant au mythe social que renferme la Tragédie en Sicile, ni M. Hebbel n’a daigné nous l’expliquer, ni M. Rœtscher n’est invité à exercer sur ce point son imagination. Nous savons seulement que M. Hebbel, le jour où le récit de cette histoire le frappa, regardait les lazzaroni coudoyer les heureux du monde et voyait s’agiter dans l’éclatante confusion de la rue de Tolède tous les problèmes de notre temps. Partez de là, si vous le voulez bien, creusez, commentez, et comprenne qui pourra !

Ce qu’il ne faut commenter en aucun sens, sous peine d’une déception inévitable, c’est le Rubis, comédie fantastique en trois actes et en vers. De gracieux détails, de poétiques descriptions, des scènes pleines de grâce et de mouvement dans les rues de Bagdad, un certain éclat oriental habilement répandu sur toute la toile, voilà ce qu’on y trouvera sans doute; mais une parabole n’est pas une comédie, et si le sens de cette parabole échappe à toutes les recherches, le charme des vers les plus harmonieux ne rachète pas l’impatience qu’on éprouve. La pièce a été représentée à Vienne, et malgré le nom de l’auteur c’est à peine si on a pu l’écouter jusqu’au bout. C’est bien le cas de répéter ici ce qu’un ferme et judicieux critique, M. Julien Schmidt, a dit d’un autre ouvrage de M. Hebbel : « Je crois qu’un poète comme l’auteur de Judith a autre chose à faire que de proposer des charades. »

Il avait autre chose à faire, et il l’a bien prouvé. Parvenu à ces limites extrêmes, le poète a compris qu’il se fourvoyait dans une fausse route; il est revenu sur ses pas, et il a cherché résolument un terrain plus solide et plus sûr. L’intention philosophique ne fera jamais défaut à un écrivain tel que lui; il a senti seulement que la pensée dans une œuvre dramatique, dans un poème qui s’adresse à la foule, devait toujours être aussi simple que large, au lieu de se plaire aux raffinemens et de