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Les erreurs du poète peuvent l’entraîner à des grossièretés regrettables; le principe n’en est jamais commun. C’est la force qui s’égare, c’est l’audace qui donne tête baissée dans le piège. Il n’y a rien chez lui des banales inspirations de ce temps-ci, et l’on ne saurait à quelle école de philosophie et de politique rattacher même de loin ses ouvrages. Il a un profond sentiment de la morale, quoiqu’il l’offense souvent par la crudité de son langage et le cynisme de ses inventions. Son triomphe, comme penseur, c’est la psychologie, une psychologie soupçonneuse et lugubre, qui n’est pas disposée, selon l’esprit du siècle, à voir l’humanité en beau, et qui excelle au contraire à démasquer et à peindre les puissances démoniaques de notre nature. Comme il serait fort, s’il pouvait se résoudre à être simple! Cette réflexion m’est suggérée surtout par la tragédie d’Hérode et Marianne, représentée il y a deux ans sur le théâtre impérial de Vienne. Il y a dans cette œuvre une force, une richesse, une originalité vivace qui pourraient défrayer bien des drames; malheureusement la recherche gâte tout, et les subtilités énigmatiques de l’esprit s’y mêlent sans cesse aux subtilités ardentes de la passion.

Le roi Hérode-le-Grand a épousé une fille des Macchabées, la belle et altière Marianne. La mère de la jeune Juive, Alexandra, a consenti avec joie à cette union, espérant qu’Hérode, subjugué par l’éblouissante beauté de celle qu’il aime, serait plus facilement victime des représailles que méditent les Hébreux. Marianne lui semble évidemment suscitée par Jehova pour venger la honte d’Israël. C’est à Marianne de régner, de faire triompher ses moindres caprices, de décimer les ennemis de son peuple, et de tuer enfin Hérode lui-même, comme Judith tua Holopherne. Alexandra ne savait pas tout ce qu’il y a d’énergie et de passion dans le cœur de sa fille. Marianne rend à Hérode l’amour insensé qu’elle lui inspire; elle a oublié sa race, comme Hérode a oublié son trône. Il ne s’agit plus ici de la fille des Macchabées unie à l’oppresseur des Juifs; c’est une femme qui aime et qui veut être aimée. Où est le drame en tout cela? Le voici : Hérode se défie de Marianne. Pour affermir sa royauté, il a fait périr son beau-frère Aristobule, et bien que Marianne, dans l’égoïsme de l’amour, assiste avec indifférence aux cruautés du tyran, Hérode ne peut croire qu’elle l’aime encore; ce doute, qui grandit d’heure en heure et qui le torture, est le châtiment de son crime. « N’est-elle pas de cette race que je foule sous mes pieds? lui crie une voix secrète. N’ai-je pas fait noyer son frère? Elle me trompe, elle ne m’aime plus. Peut-être s’accoutume-t-elle à la pensée qu’elle pourra un jour appartenir à un autre; elle ne se dit pas que celle que j’aime devra s’ensevelir avec moi. » C’est ainsi qu’il est déchiré sans cesse par les pointes aiguës de la défiance; inquiet du présent, il est jaloux de l’avenir. A la fin du premier acte,