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période, quoique imprimée beaucoup plus tard. Peu de temps après la représentation du Diamant, M. Hebbel quittait Hambourg. Le terrible incendie de 1843, qui détruisit une partie de la ville, obligeait le poète à chercher des pénates plus propices; Copenhague l’attira tout d’abord et lui offrit d’intéressantes ressources. Il y vivait depuis deux ans, intimement lié avec le célèbre poète dramatique Adam OEhlenschläger, tout entier aux jouissances de l’amitié et aux enseignemens de la méditation, quand une récompense bien flatteuse vint le chercher. La munificence du gouvernement danois accorde des secours de voyage aux jeunes écrivains qui donnent le plus d’espérances : M. Hebbel, quoique étranger à ce pays, obtint du roi Christian VIII ce précieux encouragement, et, s’empressant de réaliser son rêve, il partit pour la France. Il avait depuis long-temps le désir de visiter les principaux foyers de la civilisation européenne; il vint d’abord à Paris, où il séjourna dix-huit mois. Le mouvement de la grande ville fit sur lui une impression profonde; il y voyait, dit-il, le monde tout entier, et nul voyage, nulle méditation ne lui a révélé tant de choses que ses promenades silencieuses au milieu de cette fourmilière humaine. Seulement tout est confondu dans la fiévreuse cité, tout s’y agite pêle-mêle, le bien et le mal, le vrai et le faux, l’élégance et la vulgarité, les fines traditions du goût qui se renouvelle et la stérilité prétentieuse des écoles sans mission. Il faut à l’étranger une sagacité bien sûre d’elle-même pour n’être pas dupe des entraînemens, et je crains que M. Hebbel, au lieu de se donner le temps de comparer et de choisir, n’ait subi dans sa précipitation des influences peu dignes de lui. A peine arrivé à Paris, dont le théâtre se résumait encore à ses yeux dans les œuvres dramatiques de certains novateurs justement délaissés, il prit la plume et écrivit une tragédie bourgeoise où se retrouve manifestement quelque chose des drames de M. Dumas. La Marie-Madeleine de M. Hebbel, supérieure sans doute à de telles œuvres par le soin du style, par le développement raisonné des situations, se rattache pourtant en maints endroits à l’école d’Antony et d’Angèle.

Le sujet de Marie-Madeleine exigeait un art très délicat et des pré- cautions infinies. Une jeune fille se livre à son fiancé pour détruire chez lui une jalousie sans fondement : que deviendra-t-elle, si son fiancé l’abandonne? Elle n’aura pas de refuge au foyer paternel; son père est une nature saine et rude, et ce n’est pas lui qui excuserait la violation du devoir par des subtilités de casuiste. — Ma fille ne me déshonorera pas, s’est-il écrié un jour; sinon, je lui laisserai la place libre, et je m’en irai de ce monde. — Condamnée à la honte pour avoir voulu épargner à sa famille le déshonneur d’une rupture, Marie-Madeleine est amenée à se tuer elle-même pour ne pas être cause du suicide de son père. Tel est le périlleux sujet sous lequel a succombé M. Hebbel,