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pos pour qu’il rattrape le calme que le beau feu qui l’élève lui a fait perdre en t’écrivant ; mais, loin de m’en plaindre, j’adore ma situation.

« Ah ! bon Dieu ! je voulais tourner, je n’ai plus de papier ; il n’y a pas cinq minutes que j’écris… Marchand[1], il me faut à l’avenir du papier à la Tellière pour mon courrier de Paris. »


En faisant la part du penchant de Beaumarchais pour la dissertation, peut-être est-il permis également de mettre en doute l’ardeur d’un amour qui pérore ainsi. En essayant de prouver, ce qui est vrai, qu’un certain désordre d’idées est le caractère de la passion, l’auteur ne paraît pas joindre ici l’exemple au précepte ; il me fait l’effet de se battre un peu les flancs pour avoir l’air désordonné, et l’on ne s’aperçoit guère de ce beau feu qui lui a fait perdre son calme, d’autant que son écriture elle-même est parfaitement tranquille et posée. Beaumarchais plaît davantage, à mon avis, quand il se contente d’être simple, gai et bon enfant, comme dans ce billet, par exemple :


« Bonjour, ma tante ; je vous embrasse, mon aimable Pauline ; votre serviteur, ma charmante Perrette[2]. Mes petits enfans, aimez-vous les uns les autres : c’est le précepte de l’apôtre mot pour mot. Que le mal que l’une de vous souhaiterait à l’autre lui retombe sur la tête : c’est la malédiction du prophète. Cette partie de mon discours n’est pas faite pour des ames tendres, sensibles comme les vôtres, je le sais, et je ne pense pas sans une satisfaction extrême que la nature, en vous formant si aimables, vous a donné la portion de sensibilité, d’équité, de modération qui convient à toutes pour faire votre bonheur de vivre ensemble et le mien d’être au milieu d’une si charmante société. L’une m’aimera (dis-je quelquefois) comme son fils, celle-ci comme son frère, celle-là comme son ami, et ma Pauline, unissant tous ces sentimens dans son bon petit cœur, m’inondera d’un déluge d’affection auquel je répondrai suivant le pouvoir donné par la Providence à votre serviteur zélé, à votre ami sincère, à votre futur… Peste ! quel mot grave j’allais prononcer ! Il eût passé les bornes du profond respect avec lequel j’ai l’honneur, etc. »


Cependant cette préface de mariage, en se prolongeant, n’était pas sans danger pour Pauline ; les entrevues se multipliaient, la surveillance de la tante était peu sévère ; Beaumarchais, qui de loin, c’est-à-dire dans ses lettres, ne semble pas très dangereux, l’était de près bien davantage ; l’homme de la dissertation faisait alors place à l’autre : il avait sincèrement l’intention d’épouser, et par conséquent de respecter Pauline ; plus amoureux, le respect eût été pour lui plus facile, mais il était plus aimé qu’amoureux. Dans les Deux Amis, Mélac est un jeune homme très sensible, mais non moins vertueux, qui,

  1. C’est le domestique de Beaumarchais.
  2. Cette charmante Perrette, qui vivait je ne sais à quel titre dans la maison de la tante, donna bientôt des inquiétudes à Pauline, et devint plus tard la cause ou le prétexte de la rupture.