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détails empruntés au style mauresque. Il est situé entre la plage et la ville, au milieu d’une aire spacieuse flanquée de beaux arbres. Du haut de la terrasse qui règne sur les ailes de l’édifice, les étrangers de passage à Alepe s’amusent à voir parader les éléphans amenés par leurs cornacs. Ils leur jettent quelques païças en récompense de leurs gracieux saints, et comme ces largesses des voyageurs constituent les petits profits des mahouts, ceux-ci ne manquent jamais de paraître dans la cour du caravanséraï. Chérumal s’y rendait aussi d’habitude; mais ce jour-là il n’était pas d’humeur à faire travailler Soubala en qualité de bête savante. Après l’avoir attaché par un pied de derrière à un gros palmier, il plaça devant lui un amas formidable de feuilles de cocotier, d’herbe fraîche, de tiges de bambou, et puis se coucha à l’ombre, moins pour dormir que pour rêver à son aise. Le cornac et l’éléphant se boudaient un peu; l’homme en voulait à la bête de sa désobéissance et de l’affront qu’elle lui avait attiré, la bête en voulait à l’homme de la trop difficile besogne qu’il lui avait imposée. Quand il eut dévoré sa pitance, équivalente à celle de dix chevaux normands, Soubala fit la sieste à sa façon. Il se couvrit le dos, le cou et la tête de branches et d’herbes, afin de se garantir de la piqûre des mouches, et abaissa sa trompe. Immobile sur ses quatre pieds solides et rugueux comme des troncs d’arbres, on l’eût pris pour une de ces cabanes grossières que se bâtissent les bûcherons dans les forêts.


V. — LE PÊCHEUR TIRUVALLA.

Le lendemain matin, avant le lever du soleil, le vieux jardinier père de Mallika grimpait dans ses cocotiers pour y cueillir des fruits. Armé de la serpe, il taillait des marches dans le tronc des arbres, et s’élevait ainsi pas à pas jusqu’au bouquet de feuilles qui couronnent leur cime. L’air était frais et doux; les corneilles commençaient à voltiger dans l’air, les milans secouaient la rosée de leurs ailes, et le coucou noir jetait son cri, qui ressemble à la plainte d’une voix humaine. Mallika, étendue sur une natte, fumait nonchalamment son houkka; elle rêvait les yeux ouverts. Monté sur le cou de son éléphant Soubala, Chérumal passait près de l’enclos; le vieux jardinier, qui le voyait venir de loin, lui fit signe d’approcher.

— Il fait bon se promener à cette heure, comme un radja, sur le dos d’un éléphant, dit le vieillard.

— Tout métier a ses ennuis, sans parler des périls, répondit Chérumal; hier encore, je l’ai échappé belle.

— Un caprice de Soubala? demanda le jardinier.

— Un véritable accès de colère, et qui eût mal fini, si Mallika ne