Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 16.djvu/467

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Tantôt il déposait furtivement à ses pieds de nouveaux présens, tantôt il se montrait à peine et lui envoyait par-dessus la haie un gracieux salut. Ces mystérieuses apparitions et les libéralités du nakodah faisaient sur l’esprit de la jeune fille une impression de plus en plus vive; elles excitaient sa curiosité et tenaient son imagination en éveil. Mallika se fatigua bien vite de jouer le rôle muet et inanimé de la statue aux pieds de laquelle le pèlerin place son offrande. Elle résolut de se montrer à l’étranger dans tout l’éclat des ornemens qu’elle avait reçus de lui. L’écharpe transparente rayée de bandes rouges, dont elle enveloppa la partie supérieure de son corps, devait cacher aux regards indifférens ces parures trop belles pour l’humble fille d’un jardinier, et qui ne devaient briller qu’aux yeux de celui-là seul qui la trouvait digne de les porter.

Mallika passa bien une heure à sa toilette; posant sur sa tête une corbeille de fruits, elle s’avança rapidement à travers les bazars. C’était le matin. Le nakodah venait d’arriver sur les bords du canal, où sont déposées les pièces de bois propres à la construction des navires. Ce canal, par lequel se déchargent dans la mer tous les petits cours d’eau qui sillonnent la ville d’Alepe, est large et peu profond. Cinq ou six éléphans, appartenant au radja de Travancore, y sont employés journellement à retirer de l’eau, — où on les tient plongés pour les soustraire à l’action du soleil, — les troncs d’arbres et les poutres qu’on a coupés dans les forêts de l’intérieur. Assis sous les cocotiers qui forment un mail charmant des deux côtés du canal, Yousouf assistait à l’extraction des pièces de bois choisies par lui. Voici comment s’opère ce travail. Chaque mahout fait avancer à son tour l’éléphant qu’il dirige. L’animal reçoit des mains de son maître une grosse corde nouée en forme d’anneau, et qu’il glisse sous les poutres. Par un mouvement de sa trompe, la forte bête donne un tour à la corde de manière à la serrer; puis, marchant à reculons jusque sur la berge du canal, elle lire sur le sable ces pesans fardeaux, que quarante bras robustes pourraient à peine remuer. Cette première opération terminée, l’éléphant se retourne pour changer son point d’appui; il marche en avant, soulève sa charge de côté en la soutenant sur son genou, la pousse d’un bout, puis de l’autre, et s’y prend de telle sorte que, sans le secours d’une main humaine, il finit par former des tas de poutres parfaitement réguliers, qui s’élèvent à de grandes hauteurs. Cette besogne est celle à laquelle on occupe les galériens sur nos ports de guerre; aussi nos marins appellent-ils ces éléphans les forçats du radja de Travancore. Le plus grand et le plus fort de ceux qui travaillaient ce jour-là sous les yeux du nakodah Yousouf était Soubala, le même qui, sous la conduite du mahout Chérumal, lançait si dextrement des fleurs de cassie à la belle Mallika. Quand son tour fut venu de