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son costume étriqué et dénué d’élégance lui enlève une partie de ses avantages. Il en est tout autrement de l’Arabe : l’ampleur de ses vêtemens, qui dissimule les formes un peu grêles et disgracieuses de son corps, le turban aux larges plis qui enveloppe son front fuyant et arrondit ses tempes plates, la lenteur solennelle de sa démarche embarrassée par une chaussure incommode, tout contribue à lui donner une dignité singulière.

Lorsque Yousouf revint au soir sur cette plage, il y trouva quelques nakodahs de son pays, dont les navires étaient mouillés en rade à côté du sien. Il prit place près d’eux sous les cocotiers. Ces navigateurs arabes formaient un groupe curieux et pittoresque et comme le centre du tableau qui s’encadrait entre la mer et les grands arbres qui cachent la ville. Assis sur des balles de laine et fumant leurs longues pipes, ils trônaient majestueusement au milieu de la foule, comme des maîtres entourés d’esclaves. Peu à peu, la rive devint déserte; les nakodahs retournèrent à bord dans leurs canots, et l’ombre de la nuit s’étendit sur cette grève, d’où la vie et le mouvement s’étaient retirés. On n’entendait plus que la voix aigre des mariniers et des pêcheurs du pays, qui faisaient cuire leur riz en plein air. Tiruvalla avait regagné sa pirogue; sous la voile qui la recouvrait comme une tente, son jeune frère Tirupatty dormait déjà. Il s’étendit à ses côtés sans rien dire; sa grande colère était passée. Ainsi deux moineaux qui se sont querellés et menacés du bec et des pattes s’apaisent bientôt, et se retirent fraternellement dans le même trou pour y passer la nuit.


IV. — L’ELEPHANT SOUBALA.

En attendant qu’il leur convînt de se procurer de nouveaux filets et de reprendre leur ancienne profession, les deux pêcheurs rôdaient sur la plage. Cette vie paresseuse et oisive ennuyait Tirupatty, le plus jeune des deux frères; mais il n’osait rien dire, de peur d’irriter Tiruvalla, qui lui reprochait souvent d’avoir perdu une magnifique occasion d’extorquer de l’argent au nakodah. Ils ne manquaient pas de répandre partout que l’Arabe Yousouf Ali, du baggerow Fatah-er-rohaman, après avoir cherché à couler leur pirogue en pleine mer, avait voulu les assassiner aux portes de la ville. Aussi, là où passait le nakodah, on se rangeait devant lui avec un respectueux empressement; il inspirait à la population du port et des bazars une profonde terreur. Peu importait à l’Arabe ce qu’on disait ou pensait de lui. Deux idées l’absorbaient uniquement : s’assurer la possession de Mallika et terminer au plus vite sa cargaison pour retourner à Mascate. Chaque jour, à la même heure, il se rendait par des chemins détournés au jardin de la jeune Hindoue.