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protection de l’honorable compagnie des Indes orientales. Celui qui peut se vanter à juste titre de posséder la plus belle part, c’est le radja de Travancore, dont les états n’ont pas plus de cent quarante milles de longueur sur une largeur de quarante à cinquante au plus. Ce gracieux pays présente une succession de hautes collines et de vallées profondes où des ruisseaux se promènent en tous sens, de manière à entretenir dans ce petit coin de terre, situé en pleine zone torride, une perpétuelle fraîcheur. Au versant des montagnes, dans la partie la plus élevée du royaume de Travancore, on rencontre des forêts solitaires et mystérieuses qui recèlent les plus précieux végétaux aromatiques, l’encens, le sandal. Là, parmi les fleurs odorantes, à l’ombre des rameaux touffus, nichent et pullulent les plus charmans oiseaux, colibris et perruches. De grands singes hideux et rapaces s’y ébattent en troupes nombreuses, toujours prêts à descendre dans la plaine pour y piller les vergers et les jardins. Au plus fourré des halliers, au fond des jungles errent en paix l’éléphant, le tigre, le buffle, redoutables bêtes devant lesquelles tremble l’Hindou nu et désarmé. La culture dans les vallées et dans la plaine est plus florissante qu’en aucune autre province de la presqu’île indienne. Par sa position à l’extrémité même de cette péninsule, le Travancore jouit du bienfait d’une double mousson. Grâce aux pluies qui le baignent deux fois par an, le riz réussit à merveille sans le secours des arrosemens artificiels. La récolte ne manque jamais; le paysan, qui voit sa nourriture assurée, a du temps de reste pour cultiver la noix de bétel, la noix de coco, le poivre, ainsi que les fruits savoureux dont la Providence a doué ces régions privilégiées. Tout serait donc au mieux dans ce paradis terrestre, si le fisc n’enlevait au laboureur la meilleure partie du produit de son travail. Sur un sol si riche, l’homme des champs végète pauvre et misérable.

Les habitans du royaume de Travancore, comme ceux des états voisins, jouissent d’une réputation de probité assez médiocre. On les accuse d’être fripons, menteurs, habiles à frauder en matière de commerce, en un mot peu scrupuleux dans les moyens dont ils se servent pour lutter contre la misère. Quand un navire européen jette l’ancre sur cette côte, il est aussitôt entouré de canots et de pirogues d’où s’élancent comme à l’abordage des pêcheurs, de petits marchands, des dôhashis (interprètes); ils entourent le capitaine et les passagers en criant tous à la fois. Il semble qu’un bazar soit sorti par enchantement du sein des eaux. Celui-ci tient à la main une corbeille de fruits, celui-là porte sous le bras un caïman empaillé, un troisième montre le poisson frais qui saute au fond de sa barque; mais que dans le tumulte de la manœuvre l’équipage distrait se garde bien d’oublier sur le tillac un plomb de sonde, un maillet, un sac de clous : ces hommes à peau noire, qui n’ont ni poches, ni gibecière, escamotent avec une incroyable