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posséder, il faut savoir aller les chercher dans l’obscurité où ils sont placés ; il faut aller à eux, car nous attendrions vainement qu’ils viennent à nous. Avant de leur demander de se soumettre à l’autorité, il faut leur avoir prouvé que l’autorité est légitime ; avant de déduire à leurs yeux toutes les conséquences de la foi, il faut leur avoir prouvé, par des argumens qui les touchent, que la foi elle-même est fondée en raison. Une philosophie démonstrative, développant une vérité déjà possédée, était la philosophie naturelle du moyen-âge. Une philosophie inquisitive (pour nous servir des termes du père Ventura), qui aide les âmes sincères à conquérir une vérité désirée, espérée, mais malheureusement inconnue pour elles, est la philosophie fatale du XIXe siècle.

Le père Ventura sent bien quelquefois que c’est là le côté faible de sa méthode. Il convient quelque part[1] qu’il serait ridicule à la philosophie de prendre ses armes dans l’Écriture sainte, dans les décisions des papes et des conciles, dans la tradition chrétienne… Il convient avec saint Thomas lui-même que, pour convaincre ceux qui n’admettent ni l’Ancien ni le Nouveau-Testament, il est nécessaire de recourir à la raison naturelle ; mais il veut que cette raison naturelle soit une foi et non pas un doute, qu’elle ait ses croyances générales, ses conceptions communes à tous les hommes, ses traditions universelles, qui précèdent et dominent toute recherche. Si nous voulions chercher chicane au père Ventura, nous croyons qu’il ne serait pas difficile de faire sortir de cette concession tout le monstre de la philosophie inquisitive. Qui déterminera en effet ces croyances générales, ces conceptions communes, ces traditions universelles ? à quels signes se reconnaîtront-elles, et qui sera juge de ces signes ? N’est-ce pas l’objet nécessaire d’une recherche, d’une inquisition véritable ? Nous ne voulons cependant pas être trop rigoureux, et nous accorderons sans peine au père Ventura que, dans toute société humaine, il y a un fonds d’idées philosophiques transmises par l’éducation, aspirées en quelque sorte dès l’enfance. À côté des efforts personnels que fait chaque homme pour découvrir les vérités philosophiques, il y a l’influence des leçons de la jeunesse, des instructions paternelles, de l’opinion dominante autour de lui. Il y a dans toute société une tradition à côté d’une inquisition philosophique. Seulement le père Ventura nous accordera que l’une n’est pas plus infaillible que l’autre. La tradition humaine peut se corrompre comme l’inquisition humaine peut s’égarer ; l’une est sujette au préjugé, et l’autre à l’erreur. Or nous tenons que, dans la société française d’aujourd’hui, c’est la tradition qui s’est éloignée du christianisme, c’est l’inquisition qui s’en rapproche. Fille de l’incrédulité

  1. De la vraie et de la fausse Philosophie, en réponse à une lettre de M. le vicomte de Bonald, p. 35.