Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 16.djvu/436

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

surprise, dans quelques-uns des admirateurs passionnés du moyen-âge, des comparaisons dédaigneuses faites entre le droit canon et le droit romain, comme si l’intimité la plus étroite n’avait pas toujours existé entre ces deux formes du droit[1]! comme si toutes les universités du moyen-âge n’avaient pas toujours mis sur le même pied l’un et l’autre droit : utrumque jus ! comme si le droit romain avait cessé un seul jour d’être la règle civile de tous les pays où l’église exerce son influence directe, comme en Italie par exemple! Non, grâces en soient rendues mille fois à l’église, et c’est peut-être, dans l’ordre humain, le plus grand service dont le monde lui soit redevable : elle a sauvé le droit romain de la déchéance fatale dont l’avait frappé la conquête; elle a conservé à la justice humaine ces règles savantes de la raison écrite. C’est avec le droit romain, modifié à la fois en bien par les nouvelles lumières du christianisme et en mal par les coutumes de la Germanie, qu’elle a enfanté l’ordre civil de la société moderne. Les Barbares ne firent point les inutiles distinctions de nos jours entre l’élément chrétien et l’élément païen de la civilisation. Quand ils se convertirent au christianisme, ils prirent de la main des évêques, avec une surprise, une gaucherie et une révérence égales, toutes les lois du monde poli qu’ils avaient dompté. La Rome impériale avec son administration régulière, la Rome chrétienne avec sa morale divine, ne faisaient qu’un tout et un bloc à leurs yeux. Ils confondirent l’une et l’autre dans leur admiration naïve, dans leurs excès inexpérimentés d’imitation. Quand Charlemagne voulut rompre tout-à-fait avec son origine barbare, il demanda au pape de le faire héritier des césars. Il alla chercher à Rome, dans une église chrétienne, la couronne impériale.

Il semble qu’on saisisse maintenant d’un seul coup d’œil la grande opération accomplie par l’église catholique. Elle commence par absorber en elle-même toute la civilisation romaine; elle la communique ensuite lentement, imparfaitement, par une action patiente, à l’invasion barbare. Elle seule peut présider à ce mélange. Le foyer de la religion était seul assez ardent pour opérer la fusion de ces métaux réfractaires. Il est naturel par conséquent qu’elle ait la haute main sur toute la politique du moyen-âge; mais qu’il y a loin de là à un plan raisonné et idéal de gouvernement! Que de mélanges, que d’élémens rudes et grossiers! Indiquons, par des traits rapides, la suite de cette action de l’église sur toutes les parties du développement social

  1. On sait que la critique historique a fait justice de l’opinion répandue au siècle dernier, et qui attribuait la résurrection du droit romain au moyen-âge à la découverte d’un manuscrit des Pandectes faite par les Pisans dans le pillage d’Amalfi en 1135. En fait, le droit romain n’a jamais péri dans l’Europe moderne ni surtout en Italie. C’est un point définitivement établi, en particulier par M. Ozanam, dans ses savantes Recherches sur l’Histoire littéraire d’Italie depuis le huitième siècle jusqu’au treizième.