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aujourd’hui épuisée[1], ni la polémique si brillante dont elle a été l’occasion; nous ne discuterons pas si on doit bannir Homère et Virgile de l’éducation de la jeunesse. Après les hommes de goût et de science qui ont illustré ce débat, après l’intervention magistrale qui l’a terminé, il n’y a littéralement plus rien à dire. Les amis des lettres peuvent se rassurer : si une barbarie nouvelle, spoliatrice ou industrielle, grossière ou violente, menaçait de les étouffer, il y a parmi les évêques de Gaule des héritiers des saint Irénée et des Sidoine Apollinaire; elles auront encore une fois un asile dans le sanctuaire. Mais c’est à l’ordre d’idées qui avait amené M. l’abbé Gaume à une si bizarre conclusion que nous nous attacherons principalement, parce qu’il nous paraît offrir un rapport remarquable avec celui des deux écrivains illustres que nous venons d’analyser.

Pour M. l’abbé Gaume, il y a deux arts, deux littératures, deux beaux (si on ose mettre un tel mot au pluriel) parfaitement distincts l’un de l’autre : l’un est païen, l’autre est chrétien; l’un est réprouvé, l’autre est saint. Tout mélange de l’un et de l’autre est sacrilège et profane. Aussi, pour trouver l’art et la littérature du christianisme dans leur pureté, il faut les chercher dans les siècles qui se sont écoulés entre la chute de la société romaine et la renaissance des études classiques dans l’Europe moderne. Avant l’invasion des Barbares, les auteurs chrétiens, vivant au milieu des mœurs païennes, obligés de parler les langues grecque et romaine, tout empreintes de paganisme, ont subi, jusque dans leurs plus élégans écrits, quelques atteintes de la contagion générale. Les grands pères du IVe siècle, saint Augustin, saint Jérôme, saint Jean Chrysostome, conservent encore des habitudes du paganisme; ils sont païens par la forme. D’autre part, depuis le XVIe siècle, un culte malheureux pour les monumens de l’antiquité s’est emparé de l’Europe chrétienne : ce qu’on a appelé la renaissance des lettres n’a été que la renaissance du paganisme. A partir de cette époque, pour laquelle M. l’abbé Gaume n’a point assez d’horreur, le christianisme a disparu sans retour de l’imagination humaine. Lettres, sciences, arts, langue même, tout a cessé d’être chrétien, tout s’est imbu de la corruption païenne. Point de doute par conséquent : la littérature chrétienne et l’art chrétien, ce sont exclusivement la littérature et l’art du moyen-âge. Les cathédrales gothiques (tout au plus les églises byzantines d’Italie, où se retrouvent encore tant de débris et

  1. Cette discussion, en soi si fâcheuse, a eu l’avantage de faire apprécier au public combien de science modeste et de talent trop peu connu se cachent dans les rangs des défenseurs de la religion. Après Mgr l’évêque d’Orléans, qu’on est accoutumé à voir mêlé avec tant d’éclat à toutes les luttes difficiles pour les bonnes causes, il faut mentionner, parmi les champions des saines traditions littéraires, M. l’abbé Landriot et M. l’abbé de Valroger, les révérends pères Pitra et Cahours, qui ont traité la question sous toutes ses faces. Il faut se garder d’oublier surtout les excellentes lettres de M. Foisset et la polémique quotidienne de M. Charles de Riancey dans l’Ami de la Religion, etc.