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la philosophie scolastique du moyen-âge n’est ni chrétienne ni catholique; c’est beaucoup si le père Ventura ne prononce pas qu’elle est hérétique et païenne.

Comme le père Ventura est philosophe, M. Donoso Cortès est politique avant tout : c’est au point de vue de la politique qu’il envisage principalement la religion. C’est dans le feu des discordes civiles que sa foi, si sincère et si vive, s’est allumée et épurée; c’est au jeu des débats parlementaires que sa forte dialectique s’est aiguisée; c’est le spectacle de ce peu de sagesse qui gouverne les choses humaines qui a élevé ses regards vers une sagesse plus haute. Membre distingué du parti constitutionnel d’Espagne, devant encore au rôle qu’il a joué une dignité éminente, qui fait assez voir le prix que ses amis attachent à ses services, M. Donoso Cortès est en politique un converti de la révolution de 1848. Il avait travaillé à former la constitution politique de sa patrie assez exactement sur les exemples de la France; la chute rapide du gouvernement qui lui servait de modèle et d’appui l’a frappé d’une terreur solennelle. Il a cherché un principe d’autorité solidement attaché à un point fixe hors de la terre qui ne fût point du jour au lendemain abîmé dans ses tremblemens. L’église catholique a paru lui offrir un aliquid inconcussum qui peut supporter le levier mobile des gouvernemens humains; il embrasse ses pieds avec effusion, il les baigne de ses larmes de pénitence et de joie. Heureux d’avoir retrouvé l’autorité quelque part, il veut en étendre à toutes choses et principalement au gouvernement des peuples la salutaire protection. L’autorité, rien que l’autorité catholique en politique tout autant qu’en religion, c’est sa devise et son drapeau. Lui, l’orateur parlementaire, l’homme de la discussion par excellence, si fortement organisé pour la soutenir, il a pris la discussion en horreur. L’athlète maudit la lutte, la palestre et les disques, cœstus artemque. La discussion a perdu le monde. La discussion, c’est le péché originel lui-même. Toute discussion est fille de Satan, « née dans le paradis terrestre, au pied de l’arbre qui fut l’objet de la première tentation et la cause de la première faute de l’homme. » Je vous dis que vous ne mourrez point, ce fut la première contradiction opposée par la créature rebelle au Créateur. De cette discussion primitive est sortie cette suite de débats déplorables qui ne cesse d’ensanglanter et d’agiter la terre : de là est sorti surtout le libéralisme, dernière expression de l’orgueil humain, lequel a enfanté le socialisme, qui en est le dernier châtiment. Nous n’exagérons ni n’atténuons rien; nous ne voulons ôter à la pensée de M. le marquis de Valdegamas ni sa forme paradoxale, ni son originalité piquante. Ne souffrant ainsi de discussion nulle part, connaissant pourtant les dangers de l’arbitraire humain, M. Donoso Cortès s’adresse à l’église pour contenir, en même temps qu’elle fonde, tous les pouvoirs de la terre.