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dans ces dernières années un véritable cours de philosophie. Un exorde imposant habituellement tiré d’un texte saint, des péroraisons pathétiques pleines d’une émotion pieuse, toutes les habitudes d’un sermonnaire éloquent plutôt que d’un philosophe de profession, ne peuvent pourtant faire illusion à personne. Son livre est une suite de discussions philosophiques, et non-seulement, comme on pourrait s’y attendre, une controverse engagée pour la cause de la religion contre les attaques de l’incrédulité, mais la défense d’un système de philosophie particulier, à l’exclusion de toute opinion non-seulement opposée, mais différente. La scolastique, et dans cette grande école où les divisions n’ont pas fait faute, le système majestueux de saint Thomas d’Aquin, voilà pour le révérend père la philosophie tout entière; il n’en connaît point d’autre ; il n’admet pas qu’aucune autre puisse être ni honnête, ni sensée, ni chrétienne. Il l’appelle la raison catholique par excellence, la philosophie démonstrative, qui parvient seule à établir une série de vérités certaines, par opposition à la philosophie inquisitive, qui, suivant lui, les cherche toujours sans les trouver jamais. Prendre, ainsi que le faisait saint Thomas d’Aquin dans sa Somme à jamais célèbre, tous les dogmes catholiques comme autant d’axiomes, sans discuter les fondemens sur lesquels ils reposent, partir de là pour en tirer par une dialectique rigoureuse une suite de conséquences, faire ainsi de la science uniquement le commentaire de la foi, c’est là le rôle de la philosophie. Toute autre prétention est présomptueuse et suivie d’un prompt châtiment. Quiconque essaie de rechercher l’origine des vérités premières, de discuter le fondement de la certitude, — qui se met en peine de trouver dans le spectacle de la nature, dans l’étude de la conscience humaine ou dans les conditions absolues de l’être, des preuves rationnelles de l’existence et de la bonté divines, de l’immortalité de l’ame, de la sainteté des lois morales, — qui veut connaître et établir quelque chose par le raisonnement sans s’appuyer sur l’autorité et l’Écriture, — perd son temps, sa peine et bientôt son ame. Pour l’avoir tenté, Descartes encourt une excommunication majeure, dont ne le préserve pas le souvenir des grands complices qu’il a comptés de son temps. Pour ne s’en être pas étroitement abstenu, M. de Bonald lui-même a mérité une réprimande, qui lui est adressée en termes assez sévères pour qu’elle ait vivement froissé la piété filiale de ses héritiers[1]. Quand ce juste n’est pas épargné, qui pourrait se vanter de trouver grâce? — Point d’exception, quelque illustre qu’elle puisse être; point de miséricorde, quelques services éminens qu’on puisse invoquer. Toute autre philosophie que

  1. Voir les publications de M. le vicomte de Bonald et du révérend père Ventura au sujet de la philosophie de l’auteur de la Théorie du Pouvoir, et en particulier De la vraie et de la fausse Philosophie, par le père Ventura.