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peine d’être étudiée comme l’expression et le reflet de toute une période historique. Cette vie, sorte de macédoine disparate et hétérogène, n’est-elle pas en effet la plus fidèle image d’un ordre social qui se dissout et se décompose par le désaccord toujours croissant des idées et des institutions, des mœurs et des lois ?

Le caractère de Beaumarchais a été très décrié ; diverses causes, dont les unes tiennent aux circonstances, les autres à l’homme même, ont concouru à lui susciter beaucoup d’ennemis ; on s’occupera ici non pas de poétiser ce caractère, mais de le montrer tel qu’il est et sous tous ses aspects. S’il gagne à être présenté ainsi dans toute sa vérité auprès de ceux qui ne voient dans le personnage qu’un intrigant audacieux et habile, il perdra probablement dans l’esprit de ceux qui, pour se dispenser de l’étude des détails et des nuances, prennent les hommes tout d’une pièce et croient avoir expliqué l’auteur du Mariage de Figaro, quand ils ont dit : C’était à sa manière un grand révolutionnaire. On verra ici dans quel sens et dans quelle mesure Beaumarchais était révolutionnaire, on le verra dépassé bien vite par la révolution, et souvent aussi ardent dans sa résistance aux excès du régime nouveau qu’il l’avait été dans sa lutte contre les abus de l’ancien régime.

S’il reste beaucoup à dire sur la vie de Beaumarchais, son talent a déjà été l’objet d’appréciations nombreuses[1]. Cependant il est possible encore d’entrer un peu plus avant qu’on ne l’a fait dans les questions littéraires que ce nom soulève, soit sur le drame, soit sur la comédie. Aux critiques sévères de La Harpe et aux critiques plus sévères encore de Geoffroy, Beaumarchais peut opposer le meilleur des argumens, le succès, non pas le succès d’un jour, celui-là ne prouve rien, mais le succès vivace et durable, celui qui résiste aux changemens des goûts, des modes, aux caprices de l’opinion, aux révolutions elles-mêmes qui semblaient l’avoir fait naître, et desquels il semblait inséparable. Quoi qu’on puisse dire de la nature et des défauts de son talent, l’auteur du Mariage de Figaro est du très petit nombre des écrivains du XVIIIe siècle qu’on rejoue et qu’on relit ; il y a donc lieu aussi à étudier de près dans leurs origines les types qu’il a créés, les innovations qu’il a tentées au théâtre ou ailleurs, les formes mêmes

  1. Il suffit de citer ici, indépendamment du travail de La Harpe et du récent travail de M. Sainte-Beuve, dont on vient de parler, les articles très hostiles et souvent très injustes du célèbre critique de l’empire, l’abbé Geoffroy, qui ont trouvé place dans le recueil de ses feuilletons publié sous le titre de Cours de Littérature dramatique, d’autres articles plus élégans et plus judicieux de M. de Feletz, quelques pages pleines de mouvement et d’éclat qui font partie du Cours de Littérature française au dix-huitième siècle, par M. Villemain, mais qui, malheureusement, n’embrassent que l’examen des Mémoires de Beaumarchais contre Goëzman, et enfin un travail distingué de M. Saint-Marc Girardin, qui fait partie de ses Essais de Littérature et de Morale, et auquel on ne peut adresser que le reproche enviable d’être trop court.