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MADEMOISELLE DE KŒNIGSMARK.

 
Mais, depuis que j’ai vu la charmante Sylvie,
Contraint de l’aimer constamment,
Par un extrême changement
Je ne veux changer de ma vie[1] !

Songeons pourtant que ce n’est pas à nous de nous montrer sévères ; cette poésie, cette prose françaises en pays allemand, étaient, en dernière analyse, le plus bel hommage rendu à nos lettres, à notre esprit, à nos mœurs, surtout si nous réfléchissons que, pour réagir contre ce dilettantisme peu à peu passé dans les habitudes du sol, il ne fallut rien moins que cette coalition de génies, à laquelle présidèrent les Lessing, les Herder, les Kant et les Goethe.

En sa qualité de bel esprit et de femme à la mode, Aurore de Koenigsmark ne pouvait qu’obéir à la manie du temps ; elle devait à sa renommée, à son rang, à la position qu’elle occupait à la cour, de sacrifier au dieu Phébus. Combien de poésies françaises, — églogues, bouquets, impromptus, épigrammes, — sont sorties de cette jolie tête ; combien de fois la muse de Mme Deshoulières et de Benserade visita l’aimable Suédoise, — ce sont là des questions que je n’essaierai pas de résoudre, vu le nombre infini des pièces fugitives qu’on attribue à son inspiration. D’ailleurs, la gloire d’Aurore de Kœnigsmark gagnerait-elle beaucoup à ce qu’on exhumât ces rapsodies ? J’ai parcouru le manuscrit de la bibliothèque de Quedlinbourg, et j’avoue à regret n’avoir rien trouvé qui mérite d’être cité dans cette prose métrique, alignée en rimes incorrectes, et qui ressemble plus ou moins à la monnaie courante de l’époque ; une chose pourtant m’a frappé, je veux parler de certaines notes marginales tracées de la main de l’auteur et traitant en style d’Araminthe des sublimités de l’art de la ponctuation !

Du reste, si la spirituelle favorite de l’électeur Frédéric de Saxe ne composa en français que des vers assez médiocres, ses diverses correspondances seront toujours lues avec charme. Ajoutons, pour épuiser la liste de ses talens, qu’elle peignait fort agréablement le paysage et

  1. L’écrivain suédois auquel nous devons la plus récente publication sur les Koenigsmark, M. Palmblad, attribue ces vers au frère d’Aurore, à Philippe de Kœnigsmark, qui les aurait adressés en manière d’envoi à Sophie-Dorothée au moment d’abjurer aux pieds de la princesse la flamme dont il avait brûlé publiquement pour Mme de Platen. Tout mauvais qu’ils soient, ces vers sont-ils bien de lui ? Je n’oserais m’en porter garant, vu le peu de probité du Lauzun hanovrien en fait de choses littéraires. Il me suffira de citer ici une anecdote assez piquante et qui, selon moi, caractérise à la fois et le personnage et le temps. À l’époque de sa liaison avec Philippe, la comtesse de Platen voulut un jour parcourir son cabinet en l’absence du maître. Sur la table un volume était ouvert : c’était un recueil de poésies françaises. Les yeux de M, de Platen s’y arrêtèrent par distraction, et quel fut son désenchantement en retrouvant dans une de ces poésies l’original d’une pièce de vers pleine de tendresse que son amant lui avait donnée naguère comme un produit de sa propre muse !