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MADEMOISELLE DE KŒNIGSMARK.

vermeil, vases de cristal, tableaux, lits de brocart en broderie ; tout y était d’un goût si exquis et si particulier, qu’il n’y avait rien qui ne pût servir de modèle. » À celles qui aimaient la musique, on donnait des concerts d’harmonie ; pour d’autres, on mandait de Dresde les comédiens français. Les millions s’évanouissaient comme en un rêve, et pendant ce temps les soldats, ne recevant plus de paie, désertaient ; peu à peu la galanterie dégénéra en débauche, le festin en orgie, la fête en bacchanale. Bientôt le prince en vint à n’avoir plus autour de lui que des serviteurs corrompus et vénaux. On le volait, on le pillait à merci. Dans tous les coins de son palais s’agitaient la fraude et les honteux trafics : c’était à qui lui vendrait sa femme ou sa fille. Brigues infâmes où se distinguaient, par leurs empressemens cyniques, les plus grands seigneurs et les plus grandes dames du royaume ! L’ivrognerie, la luxure, que dirai-je ? tous les vices, s’étaient donné rendez-vous à la cour de Pologne. Ce que Dresde avait de plus dissolu passait à Varsovie pour l’honnêteté même, et les plus francs buveurs saxons n’étaient que de timides écoliers auprès des polonais, leurs maîtres. Impur et crapuleux amalgame, triste marée humaine dont le flux et le reflux allait de Varsovie à Dresde, balançant au-dessus de son flot, comme un Silène en belle humeur, ce monarque libertin qui vieillissait ! Le vice avait perdu ses grâces, la dissipation son éclat ; de cette pompe bachique, la beauté, l’esprit, la distinction et la noblesse s’étaient retirés, l’orgie vulgaire restait seule. Le chevaleresque, le galant prince de Saxe, l’ancien amant de Mlle de Kœnigsmark, n’était plus, hélas ! qu’une sorte de polonais aviné, n’ayant de goût désormais que pour la femme capable de lui tenir tête le verre en main !

Quelle amère et douloureuse nécessité ce dut être pour un cœur tel que celui d’Aurore de Kœnigsmark d’avoir à recourir sans cesse aux bontés d’un homme à ce point déchu de son premier état ! Il y a des fautes qui trouvent leur châtiment et leur expiation à travers la vie entière d’une pauvre femme. Que ceux qui n’ont vu dans Mlle de Kœnigsmark que la favorite idolâtrée et rayonnante d’un prince jeune, aimable, renommé, la contemplent à cette heure où, mère tendre et sublime, elle vient implorer vainement celui qui ne se souvient plus de l’avoir adorée, cette ame en laquelle les plaisirs, la débauche et les âpres leçons du destin ont tari toute noble source. Hélas ! noble et digne femme, pourquoi vous tourner ainsi vers cet ingrat ? Qui vous êtes, qui vous avez été, il ne le sait plus, il n’en veut plus rien savoir. Ne le voyez-vous point ? Vous lui écrivez, vos lettres demeurent sans réponse, ou, s’il y répond, c’est d’un style dont l’indifférence vous froisse. Que lui demandez-vous ? de l’amour ? La dernière étincelle en est éteinte en lui, et peut-être est-ce vous qui l’avez jadis recueillie ? Des bienfaits pour votre fils ? Mais la clé de sa cassette, c’est la Cosel,