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BEAUMARCHAIS, SA VIE ET SON TEMPS.

soit que La Harpe n’ait pas cru devoir pénétrer trop avant dans une existence liée à celle d’une foule de personnes qui vivaient encore au moment où il écrivait, il est certain qu’il s’en est tenu à quelques informations générales recueillies auprès de la veuve du défunt, et que, sous le rapport biographique, son travail n’est qu’une ébauche où il n’y a presque pas une date, pas un détail précis, et où les faits principaux sont à peine indiqués, sans compter quelques erreurs assez graves religieusement reproduites par tous les biographes. Il n’est pas moins incontestable que le travail de La Harpe a été, pour la réputation si attaquée de Beaumarchais, une véritable bonne fortune. Appréciateur sévère et parfois trop rigoureux de l’auteur dramatique, l’aristarque du Cours de Littérature rend aux qualités de l’homme, qu’il a connu, une justice qui ne saurait être suspecte de partialité ; car La Harpe, alors converti, était devenu très hostile non-seulement aux écrits, mais aux écrivains du XVIIIe siècle : l’exception inattendue qu’il fait en faveur de Beaumarchais, les éloges qu’il accorde à son caractère, la chaleur avec laquelle il réfute le premier cet amas de calomnieuses noirceurs accumulées sur la tête d’un homme dont la vie ne fut qu’un combat, n’ont pas peu contribué à empêcher les écrivains sérieux qui sont venus après lui de juger l’auteur du Mariage de Figaro sur les accusations souvent atroces et sur les diatribes de ses nombreux adversaires.

Voici, du reste, un extrait d’une lettre inédite de La Harpe adressée à Mme de Beaumarchais six mois après la mort de son mari, le 1er  décembre 1799, au moment où le critique s’occupait de rédiger son travail. Cette lettre prouve la spontanéité et la sincérité des sympathies exprimées par La Harpe, sympathies qui étonnèrent quelques personnes à l’époque où parut le onzième volume du Cours de Littérature.


1er  décembre.

« … Mon opinion, écrit La Harpe, sur l’excellent époux que vous regrettez, avait dès long-temps prévenu tout ce que vous inspire à cet égard un intérêt bien légitime et bien digne d’éloges. J’ai toujours été indigné des calomnies et des persécutions aussi odieuses qu’absurdes dont il a été si souvent l’objet. Soyez sûre, madame, qu’à cet égard la justice sera complètement faite, et c’est même une des raisons qui m’ont fait penser tout de suite à faire entrer son article dans le chapitre de la Comédie dans ce siècle, quoiqu’il fût depuis long-temps entre les mains de l’imprimeur : l’article n’est pas fait ; il a fallu d’abord, suivant ma méthode, relire tous ses ouvrages, et j’ai peu de temps pour lire, parce que j’en dépense beaucoup à écrire. Ce morceau d’ailleurs doit être travaillé et réfléchi. J’en ai d’autres à terminer auparavant, et peut-être aurai-je le plaisir de vous revoir avant de le commencer ; il n’en vaudra que mieux à tous égards.

« Vous ne devez pas être moins tranquille, madame, sur ce qui concerne son talent ; j’en ai toujours fait cas, et j’aime à rendre justice ; j’aurais mieux