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fêtes succédaient aux fêtes, les cadeaux aux cadeaux, le triomphe au triomphe.

Cependant à Dresde les deux électrices ont ressenti l’affront. À son retour, l’électeur se voit accueilli par les plaintes et les reproches, et c’est alors que le naturel d’Aurore de Kœnigsmark se montre dans ce qu’il a d’élevé, de généreux, de sympathique. Bien loin de vouloir, à l’exemple des favorites qui l’ont précédée et qui lui succéderont, exploiter à son profit les brouilles de ménage, loin de chercher à séparer son noble amant de sa famille légitime, elle est la première à le prémunir contre l’effervescence d’un tempérament irritable et volontaire, à lui rappeler les égards et les respects qu’il doit à sa mère et à sa femme. La jeune électrice, apprenant les bons offices que lui rend Mlle de Kœnigsmark, voit à son tour sa faveur sans jalousie. « Je me console, disait-elle souvent, d’avoir une rivale, puisque c’est une personne de mérite. » Il semble que l’ange de la paix n’ait pris ce masque tentateur d’une séduisante sirène que pour réconcilier les deux pauvres dames avec ce que leur destinée a de cruel et d’inévitable. Aurore est bien plutôt l’amie et la confidente de la mère et de l’épouse que la maîtresse du fils et du mari. Le prince s’en aperçoit, mais, tout en admirant la délicatesse et le bon goût du procédé, il l’apprécie avec froideur ; une concubine ordinaire ferait mieux son affaire, car il ne hait pas au fond qu’on se querelle autour de lui, et ce qu’il aime surtout chez les femmes, c’est le côté vulgaire et sensuel.

Du reste, les illusions d’Aurore de Kœnigsmark touchant l’amour du prince de Saxe paraissent s’être évanouies assez promptement. Au bout de neuf mois, la favorite de l’électeur Frédéric-Auguste étant accouchée de ce fils qui devint plus tard, au service du roi de France, le maréchal de Saxe[1], il en résulta pour elle un état extrêmement grave de faiblesse et de langueur. Frédéric-Auguste n’aimait point qu’on fût malade, et ressemblait fort sur ce point à sa majesté Louis XIV. Le prince commença donc, à dater de cette circonstance, de se dégoûter de sa maîtresse, dont il s’éloigna peu à peu, jusqu’à ce qu’ayant pris d’autres engagemens, il cessa entièrement de vivre avec elle comme amant, car d’ailleurs il continua de la voir et lui marqua toujours la plus grande estime. Aurore de Kœnigsmark était douée de trop de clairvoyance et de tact pour ne point avoir pressenti ce qui lui arrivait. Il ne s’agissait plus pour elle que de s’assurer une retraite honorable et conforme à la dignité de son caractère : elle le fit en jetant les yeux sur l’antique abbaye de Quedlinbourg.

  1. C’est d’Aurore de Kœnigsmark, par le maréchal de Saxe, que descend l’un des plus célèbres romanciers de notre époque.