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MADEMOISELLE DE KŒNIGSMARK.

Des ottomanes de brocart la décorent, et tous les parfums d’Orient y brûlent dans des cassolettes d’or. Dans cette calme et silencieuse retraite, disposée au sein d’une fraîche oasis, les glaces et les sorbets circulent sur des plateaux damasquinés. Tout à coup mascarade nouvelle ! les grands officiers du sérail apparaissent, puis le sultan lui-même tout éblouissant de pierreries. Orosmane s’avance d’un pas lent et mesuré vers la tente des dames et jette le mouchoir à Zaïre. Ici l’étiquette ressaisit ses droits. Mlle de Kœnigsmark et l’électeur prennent place sur un divan réservé, laissant les tabourets au reste de la compagnie. Les danseuses du théâtre de la cour, vêtues en bayadères, exécutent un divertissement. Après quoi, l’électeur se lève et, donnant la main à Mlle de Kœnigsmark, la conduit à sa gondole, où sont admis à s’asseoir, avec le padischah et la favorite, le prince de Furstemberg et la comtesse de Lewenhaupt. De nombreuses gondoles reçoivent les autres dames, qui choisissent à leur tour les cavaliers qui leur conviennent, et l’on se promène ainsi quelque temps sur l’eau aux sons d’une musique harmonieuse.

Arrivé au château de Moritzbourg, le prince accompagne sa favorite jusqu’à l’appartement qu’il lui destine : somptueux appartement meublé avec une extraordinaire magnificence ; salle du trône, où le trône est un lit. La garniture de ce lit, d’une ordonnance admirable, est en damas aurore brodé d’argent ; on y voit en divers compartimens les amours d’Aurore et de Tithon ; des amours bouffis et pansus relèvent les rideaux en festons et semblent répandre sur la divinité du sanctuaire les pavots, les roses et les anémones. « C’est ici, mademoiselle, que vous êtes vraiment souveraine, s’écrie galamment l’électeur, et que, de grand seigneur que j’étais, je deviens votre esclave. » Et la belle Aurore de répondre : « Ah ! monseigneur, dans quelque état que vous vous présentiez à mes yeux, n’avez-vous point le droit de dire que je vous appartiens ? » On se quitte un moment pour changer de toilette et s’ajuster pour le souper. En se mettant à table, Mlle de Kœnigsmark trouve sur son assiette un bouquet de diamans, d’émeraudes, de rubis, de saphirs et de perles, qui lui annonce qu’elle est la reine de la fête qui va suivre. Sitôt après le souper, les danses commencent, et, dans le moment que les gigues et les sarabandes sont le plus animées, le prince et la favorite disparaissent de la salle de bal. Chacun s’en aperçoit, mais chacun sait aussi ce qu’il doit faire, et le bal continue à mener son train comme si nul n’avait remarqué cette absence. Ainsi se comportaient les cours à cette époque. Et penser que cette journée que nous venons d’essayer de décrire fut suivie de quinze autres non moins brillantes, non moins somptueuses, non moins folles en travestissemens mythologiques, en voluptueuses extravagances, en prodigalités sans nombre ! pour la reine du moment, les