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oiseaux, et partout le long des sentiers d’émeraude que suivait le galant cortège, pleuvait la neige des fleurs, roucoulait la tourterelle, murmurait sous le rocher la source vive. Au moment où les voitures entraient dans les beaux bois qui avoisinent la résidence, une députation mythologique se présente. C’est Diane environnée de ses nymphes qui vient engager l’illustre compagnie à visiter son palais, et, faisant allusion au doux nom d’Aurore, la déesse salue une sœur dans Mlle de Kœnigsmark. Les dames ayant mis pied à terre, on aperçoit en effet un édifice merveilleux élevé là comme par magie. On entre : un salon peint à fresque pour la circonstance reçoit les hôtes de l’électeur. Sur les murs, la mort du tendre Endymion, le châtiment du téméraire Actéon, toute l’histoire, en un mot, de l’immortelle chasseresse se déroule reproduite avec un art infini. Diane cependant ordonne à ses nymphes de régaler Aurore et sa suite. Aussitôt du milieu du parquet qui s’entr’ouvre sort une table chargée de mets exquis. À peine les dames ont-elles pris place, qu’un bruit de chalumeaux, de cymbales et de tambourins se fait entendre ; en même temps paraît le dieu Pan, que les satyres, les faunes et les autres divinités des bois accompagnent. Grande terreur parmi la moitié la plus impressionnable de l’aristocratique assemblée ; mais qu’on se rassure, car le terrible Pan, c’est son altesse électorale en personne ; les satyres sont les chambellans les mieux tournés de la cour, et les faunes, de jeunes pages. Diane, que représente à ravir la comtesse de Beichling, femme du confident intime des plaisirs du prince, invite Pan à s’asseoir près de la belle Aurore. Que de tendres choses ne lui dit point ce dieu ! quels empressemens pour la servir, quels soins pour lui plaire et la persuader de sa passion ! « Que vous êtes aimable ! que je vous aime ! je vous aimerai éternellement. » Vieilles paroles que tout cœur épris sait mettre en musique ! Vers la fin du repas, la trompe retentit, les aboiemens des chiens se font entendre. Les dames étonnées accourent aux fenêtres et voient passer un cerf que poursuivent des chasseurs élégamment troussés. Quel plaisir on aurait à suivre la chasse ! Aussitôt il se trouve là des chevaux tout prêts et des calèches ouvertes. Les deux déesses montent en phaëton ; on part, on est parti. Pauvre cerf, qui ne demandais qu’a brouter les feuilles de ces bois, l’amant inhumain a juré ta perte, et pour inaugurer ses royales tendresses, ton noble sang va couler ! — Par une embûche habilement ourdie, le cerf est réduit à se précipiter dans un étang de la forêt, et, pendant que la meute acharnée s’efforce d’atteindre sa victime à la nage, les dames, descendues de cheval, montent dans des gondoles et gagnent à force de rames la rive, où gaiement elles abordent au bruit des fanfares pour voir mourir le cerf et donner la curée.

À l’une des extrémités de l’île s’élève une tente dressée à la turque.