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REVUE DES DEUX MONDES.

 
Qui beaulté eut trop plus qu’humaine ?
Mais où sont les neiges d’antan[1] ?

Parmi les documens précieux que contenait ce cabinet, plusieurs paraissaient avoir été mis en ordre par Beaumarchais lui-même avec l’intention de s’en servir pour la rédaction des mémoires de sa vie, et on voyait en même temps qu’après avoir conçu ce projet, il y avait ensuite renoncé. Ainsi, sur un dossier volumineux contenant sa correspondance avec M. de Sartines[2] et le détail de ses voyages comme agent secret de Louis XV et de Louis XVI, on lit ces mots écrits de sa main : Papiers originaux remis par M. de Sartines, matériaux pour les mémoires de ma vie ; plus bas est écrit de la même main : inutiles aujourd’hui. C’est-à-dire que Beaumarchais dans sa vieillesse, sous la première république, laissant à sa fille des affaires embarrassées et des procès avec le gouvernement existant, avait sans doute craint de lui nuire et peut-être aussi de nuire à sa propre mémoire en mettant au jour ses antécédens monarchiques et spécialement la partie de sa vie où il fut directement au service de Louis XV, de Louis XVI et de leurs ministres.

Quoi qu’il en soit, l’examen des papiers laissés par Beaumarchais fait vivement regretter qu’il n’ait pas donné suite au projet de raconter lui-même les péripéties étranges d’une existence mêlée à tous les événemens de son temps. De tous les hommes fameux du XVIIIe siècle, il est peut-être celui sur lequel on a débité le plus de fables, tandis que les faits de sa vie n’ont été connus du public que par les détails qu’il a semés çà et là dans des mémoires judiciaires dont la forme apologétique et les réticences obligées mettent le lecteur en garde et ne satisfont que très incomplètement sa curiosité.

Tout ce qui a été écrit de plus exact depuis cinquante ans sur la vie de l’auteur du Mariage de Figaro est puisé à la même source, c’est-à-dire emprunté au travail publié par La Harpe en 1800, et qui fait partie de son Cours de Littérature[3]. Dans le chapitre consacré à Beaumarchais, et qui est un des meilleurs de l’ouvrage, La Harpe, reconnaissant avec raison qu’ici l’homme est supérieur à l’écrivain, donne un peu plus d’extension à la partie biographique de son sujet qu’il n’a coutume de le faire pour les autres auteurs ; mais, soit qu’au lendemain de la mort de Beaumarchais ses papiers ne fussent pas encore inventoriés,

  1. D’Antan, de l’an passé. Voir la ballade des Dames du temps jadis, par Villon.
  2. Lieutenant-général de police sous Louis XV et ministre de la marine sous Louis XVI.
  3. Il y a ici une exception à faire pour une étude sur Beaumarchais publiée récemment par M. Sainte-Beuve. L’éminent écrivain, sachant que j’avais entre les mains des documens inédits, a bien voulu me demander des informations, et je lui ai communiqué, avec une prudence amplement justifiée par l’éclat de son talent, quelques détails dont il a tiré un excellent parti.