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MADEMOISELLE DE KŒNIGSMARK.

ainsi placée au cœur de cette Allemagne où régnaient naguère les mœurs barbares de la guerre de trente ans, il semble que sa valeur personnelle se dégage plus attrayante des ombres qui lui servent de fond, fraîche rose issue des ruines, diamant pur dans les ténèbres. L’Allemagne de cette époque n’était point mûre pour une personne de cette sorte, pour une intelligence si haute et si ferme, que la nature, par un de ces contrastes qu’elle affectionne, revêtit de la forme la plus suave, la plus tendre, la plus féminine. C’est en France que Mlle de Kœnigsmark aurait dû naître, en France où les rares qualités qu’elle possédait eussent trouvé leur véritable emploi. Frédéric-Auguste ne vit jamais qu’une agréable maîtresse dans celle qui aurait pu être pour lui un confident, un ami, un ministre. À celle qui aurait pu être le génie protecteur de sa couronne, ce prince aimable et débauché ne sut demander que des caresses ! N’admirer chez une femme que les charmes de sa beauté, ne compter pour quelque chose que les avantages de son sexe lorsque l’esprit est là, impatient de se manifester, maladresse profonde, grave injure dont souffre à en mourir toute personne intelligente ! Par ces lèvres adorables et sensées, la pure raison quelquefois voudrait parler, et jamais vous ne leur demandez que des baisers frivoles. Ces nobles yeux rayonnent des saintes flammes de l’intelligence, et c’est assez pour vous d’y lire un tendre aveu. Ce qu’il y avait de délicat et d’éminent chez Mlle de Kœnigsmark, Frédéric-Auguste ne le comprit point. Pour ce glorieux, pour ce sultan, qui prétendait qu’avant tout on l’amusât, une femme, à la condition d’être élégante et jolie, en valait une autre, et, malgré ce grand renom de chevaleresque, ce ne fut jamais dans ses amours qu’un homme assez vulgaire, incapable d’apprécier le mérite d’une femme en dehors des papotages du boudoir et des voluptés de l’alcôve. Les premiers enivremens de la lune de miel dissipés, il en coûta beaucoup à Mlle de Kœnigsmark de se voir méconnue dans ce qu’elle estimait davantage en elle, et cependant jamais la perte d’une illusion bien chère n’altéra le calme et la sérénité de son humeur. Jusqu’à ses derniers momens, qu’elle passa retirée en la célèbre abbaye de Quedlinbourg au milieu de vénérables et fort revêches dames chanoinesses, elle ignora ce que c’était que la malveillance, l’envie, l’idée même de se venger d’une offense. Du nombreux groupe des favorites du roi Auguste sa figure se détache aimable, souriante, un peu mélancolique, et marquée au front de cet idéal qui frappa Voltaire.

La jeunesse de la sœur de Charles-Jean et de Philippe se passa dans ce château féodal d’Agathenbourg, près de Stade, qui servait de retraite à la comtesse douairière de Kœnigsmark, née Wrangel. Tout auprès de la résidence de famille était la petite cour de Celle, où la jeune Aurore et ses deux frères firent connaissance avec la fille du duc régnant