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de Figaro à son poste de bataille et dans l’exercice de ses fonctions, précédant, l’épée au côté, la viande de sa majesté, avant de la poser lui-même sur la table.

Deux mois après son entrée à la cour, le 3 janvier 1756, le vieillard qui lui avait vendu sa charge mourut d’une attaque d’apoplexie, et onze mois plus tard, le 22 novembre 1756, le jeune Caron épousa la veuve Francquet, née Marie-Madeleine Aubertin. Alors seulement, au commencement de 1757, il ajouta pour la première fois à son nom ce nom de Beaumarchais qu’il devait rendre si fameux. Le manuscrit de Gudin nous apprend que ce joli nom fut emprunté à un très petit fief appartenant à la femme du jeune Caron. Je ne sais pas au juste où était situé ce petit fief, j’ignore si c’était un fief servant ou un fief de haubert, ou simplement un fief de fantaisie : toujours est-il que cette circonstance fournit plus tard au juge Goëzman la seule plaisanterie un peu agréable que contiennent ses mémoires contre Beaumarchais, quand il dit : « Le sieur Caron emprunta d’une de ses femmes le nom de Beaumarchais, qu’il a prêté à une de ses sœurs. »

Cependant le jeune Caron, devenu sieur de Beaumarchais et contrôleur clerc d’office de la maison du roi, n’était point encore passé gentilhomme ; sa petite charge ne coûtait pas assez cher pour conférer la noblesse. Ce n’est que cinq ans plus tard, en 1761, quand il eut acheté, moyennant 85,000 francs, la charge très noble et très inutile de secrétaire du roi, qu’il acquit le droit de faire au juge Goëzman, gentilhomme de la veille, qui lui reprochait sa roture, cette mémorable réponse : « Je me réserve de consulter pour savoir si je ne dois pas m’offenser de vous voir ainsi fouiller dans les archives de ma famille et me rappeler à mon antique origine, qu’on avait presque oubliée. Savez-vous bien que je prouve déjà près de vingt ans de noblesse[1], que cette noblesse est bien à moi, en bon parchemin scellé du grand sceau de cire jaune, qu’elle n’est pas, comme celle de beaucoup de gens, incertaine et sur parole, et que personne n’oserait me la disputer, car j’en ai la quittance ! » Ce j’en ai la quittance, qui peint parfaitement Beaumarchais, nous en dit plus dans sa comique insolence que bien des livres sur l’avilissement du principe aristocratique en France à la fin du dernier siècle.

Cependant l’état d’aisance que Beaumarchais devait à son premier mariage dura peu ; moins d’un an après ce mariage, il perdit sa femme, qui mourut le 29 septembre 1757, d’une fièvre typhoïde, après huit jours de maladie. Cette coïncidence de la mort d’un vieillard infirme, bientôt suivie de la mort d’une femme de trente et un ans atteinte d’une

  1. Beaumarchais surfait ici l’antiquité de sa noblesse ; en 1773, elle ne datait en réalité que de douze ans.