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L’innovation la plus considérable de cette époque, celle qui a fourni à la démocratie anglaise son instrument le plus actif, ce fut l’usage des meetings. À l’occasion des luttes de Wilkes avec la couronne et la chambre des communes furent tenus à Londres les premiers meetings que l’on ait vus en Angleterre. Depuis lors, c’est avec des meetings que la démocratie anglaise a fait toutes ses grandes conquêtes : l’émancipation des catholiques, la réforme parlementaire et le libre échange. En grandissant par de maladroites persécutions l’ascendant populaire de Wilkes, George III, sans s’en douter, faisait fabriquer les armes des agitateurs de l’avenir. En voulant détruire Wilkes, il introduisit dans la vie politique de l’Angleterre ces espèces de tribuns du peuple qui se sont parés eux-mêmes du titre d’agitateurs, et qui, exaltant et personnifiant en eux les passions, les intérêts et les droits populaires, font de temps en temps la loi aux rois et aux parlemens, — les Cobbett, les O’Connell et les Cobden.

Après la démission du duc de Grafton, l’opposition s’attendait à être appelée aux affaires. Elle fut déçue. George III choisit justement cette circonstance pour élever et fixer au pouvoir un homme qui ne pouvait lui donner aucun ombrage, auprès duquel il était sûr de ne rencontrer aucune résistance, un ministre enfin selon son cœur, lord North. Le roi avait déjà épuisé en dix ans six ministères ; par son opiniâtreté et en triomphant sans cesse des hésitations constantes de lord North lui-même, il fit durer pendant plus de dix ans son septième cabinet. Lord North était bien la nature de ministre qu’il faut sous un régime représentatif à un roi qui prétend gouverner. C’était un homme profondément instruit, avec de grandes facultés de travail, orateur peu brillant, mais facile et sensé, — d’une égalité d’humeur incomparable, que toutes les injustices et toutes les violences de l’opposition ne pouvaient faire sortir des gonds. Quoiqu’il n’eût point d’orgueil, il dédaignait la popularité ; peu de temps avant de devenir premier ministre, dans un piquant résumé de ses états de services politiques, il prenait plaisir à rappeler à la chambre des communes qu’il n’avait jamais proposé que des mesures impopulaires. Il avait aussi peu d’ambition que d’orgueil. Il ne chercha pas la première place ; George III l’y poussa par les épaules et l’y retint par les basques de l’habit. Il dut son élévation et la durée de son pouvoir à l’indécision et à la passiveté de son caractère. Naturellement cette passiveté de caractère se refléta sur sa politique. Habile dans les détails de l’administration, il n’avait aucune de ces pensées qui percent l’avenir et vont y préparer les événemens ; c’était l’homme de la politique terre à terre et au jour le jour, de la politique qui court sans cesse après le fait et ne peut jamais le devancer ni l’atteindre, de la politique qui ne pare les coups qu’après les avoir reçus. Avec un pareil instrument, George III réalisait enfin le plan de