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s’était choisis, et la politique de George III prévalut. La maladie et l’éloignement de lord Chatham enlevèrent au ministère le lien puissant qui en serrait les élémens hétérogènes, la main vigoureuse dont il avait besoin pour garder son unité et suivre une impulsion régulière et sûre. Le duc de Grafton suppléa lord Chatham dans la première place ; il n’était de force ni à résister au roi ni à contenir ses collègues. Le ministère ne fut plus qu’une association d’égaux, chacun se mettant à tirer de son côté et cherchant à faire figure pour son compte. Un incident, conséquence de cette anarchie ministérielle, ralluma la crise américaine. Parmi les collègues de Pitt, le plus brillant et celui auquel le contrôle du chef était le plus nécessaire était le chancelier de l’échiquier Charles Townshend. Après l’entrée de Pitt dans la chambre des lords, Townshend demeurait le premier orateur de la chambre des communes. Townshend était un homme jeune dont la pratique des affaires avait de bonne heure développé et assoupli la merveilleuse facilité, étincelant d’esprit, mais indécis, léger, imprudent, qui semblait ne chercher dans la politique que l’ostentation et l’amusement de son talent, en un mot un artiste parlementaire et non un homme d’état. Quand Chatham ne fut plus là, Townshend se permit des espiègleries d’écolier échappé. Une de ses boutades les plus fameuses fut un discours que l’on appela le discours au champagne de Charles Townshend. « C’était, dit Horace Walpole, témoin de cette scène extraordinaire, un torrent d’esprit, de talent, d’humour, de science, d’absurdité, de vanité et de fiction, relevé de toutes les grâces de la comédie, du bonheur des allusions et des citations, et de la bouffonnerie de la farce. De la question à l’ordre du jour, l’enquête sur l’Inde, il ne dit pas une syllabe. Ce fut une esquisse du temps, une peinture des partis, de leurs chefs, de leurs espérances et de leurs défauts. Ce fut l’éloge et la satire de lui-même, et il excita de tels murmures d’étonnement, d’admiration, d’applaudissement, de rire, de pitié et de mépris, que rien n’est si vrai que le mot par lequel il conclut en parlant du gouvernement : il dit qu’il était devenu ce qu’on l’a souvent appelé lui-même, une girouette ! — Pendant plusieurs jours, on n’a su parler d’autre chose. On ne pouvait s’aborder sans se demander : « Avez-vous entendu le discours au champagne de Charles Townshend ? » pour ma part, je proteste que c’est le plaisir le plus singulier du genre dont j’aie jamais joui. » Or, un jour que l’on discutait le budget et que Charles Townshend était en veine de discours au champagne, comme on le harcelait de questions sur la manière dont il se proposait de combler le déficit des recettes, il répondit étourdiment qu’il trouverait des moyens innocens de tirer quelque revenu des colonies américaines. Aucun de ses collègues n’avait été averti de cette téméraire déclaration. Pour tenir son engagement, il proposa