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des warrants dans le sens libéral : voilà pour l’Angleterre. Si son ministère eût pu vivre, l’agitation de Wilkes n’eût plus eu de prétexte, l’affaire d’Amérique était terminée, la séparation des États-Unis n’eût point eu lieu. Mais le ministère Rockingham péchait par le talent ; c’était ce qu’on appelle un gouvernement faible. « C’est un ministère d’été, » disait Charles Townshend, un de ses plus spirituels adversaires. Lord Rockingham ne pouvait tirer sa force d’existence que de l’une de ces deux sources : ou de la popularité qui est la confiance publique, ou de la confiance du roi. Or il fut battu en brèche des deux côtés. La confiance du public appartenait à Pitt, la confiance du roi appartenait à lord Bute ou aux sectateurs de sa doctrine. Pitt affaiblit ce cabinet honnête et intelligent en lui marchandant son concours à l’origine, et en refusant d’y entrer dans la suite, malgré les instances désintéressées du marquis de Rockingham, qui lui offrait de lui céder la place de premier ministre. Dès la première séance de la session de 1766, il affecta de marquer sa place à l’écart et au-dessus du ministère. Il le fit avec sa brusquerie originale et pittoresque : « Je me tiens ici à cette place, dit-il en se levant pour parler sur l’adresse, seul et sans liaisons politiques. Quant au dernier ministère, — et il se tourna vers Grenville, qui siégeait près de lui, — toutes les mesures importantes qu’il a prises ont été radicalement mauvaises. Quant aux gentlemen d’à-présent, pour ceux du moins que j’ai sous les yeux, — ici il regarda le leader du cabinet dans la chambre des communes, le général Conway, — je n’ai contre eux aucune objection ; je n’ai jamais été trahi par eux ! Leur caractère est irréprochable ; mais néanmoins, j’aime à être explicita, je ne peux leur donner ma confiance. Pardonnez-moi, messieurs, reprit-il aussitôt en s’inclinant devant les ministres, la confiance est une plante qui croît lentement dans un cœur âgé ; la jeunesse seule est la saison de la crédulité ! » Toute la conduite de Pitt durant cette session prouva qu’il était prêt désormais à accepter le pouvoir, pourvu qu’il lui fût offert par le roi lui-même et qu’on le laissât maître de composer le cabinet à son gré. Cette attitude détacha de lord Rockingham quelques-uns de ses propres collègues, le duc de Grafton entre autres : attirés par l’ascendant de Pitt, ils espéraient qu’un puissant et durable ministère allait enfin s’établir avec le prestige de ce grand nom. De son côté, George III ne pardonnait pas au marquis de Rockingham ses concessions aux colonies américaines. Un grand nombre d’amis du roi, des hommes attachés à sa personne, quelques membres de l’administration que lord Rockingham avait été forcé par George III de maintenir dans leurs places, votaient systématiquement contre les mesures ministérielles. Lord Rockingham ne tenait à vivre que pour accomplir ce qu’il regardait comme sa mission, la pacification de l’Amérique.