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CARACTÈRES ET RÉCITS.

de franchise. Cette franchise même devint un instrument de sa coquetterie. Ce n’est pas vous que j’ai besoin d’initier à toutes les contradictions, à tous les caprices, aux longs détours et aux brusques transitions, à la série d’accidens, en même temps fatale et imprévue, de ces entretiens où les filles d’Eve luttent d’agilité et de souplesse avec le serpent. Le déplorable résultat de tout ce qui fut dit entre Valérie et moi, le voici : c’est qu’au bout de quelques heures deux êtres incapables d’aimer qui que ce soit et surtout de s’aimer entre eux, deux êtres que ne poussaient l’un vers l’autre ni la mystérieuse inspiration du cœur ni l’irrésistible transport des sens, deux êtres qui se jugeaient avec sagacité en se jugeant sévèrement, s’unissaient sur les débris d’un bonheur qu’ils auraient dû tenir pour sacré. Quand je me retirai chez moi, j’eus une douloureuse vision d’Oleski. Je songeai à la noble et vraie passion dont le matin encore j’étais le confident. À quoi était sacrifiée la sincère affection de cette ame droite ? Aux factices habitudes de deux esprits pervertis. Ainsi va ce monde depuis long-temps. La félicité d’Oleski sera une ruine de plus parmi ces innombrables ruines de joie, d’illusion, de confiance où des cœurs cruels et désenchantés abritent de froides amours. »


V.

« Je vous écris avec précipitation, avec colère, avec désespoir. Tout cela tient à un même motif que je veux sur-le-champ vous dire. Je serai soulagé quand je vous aurai fait cet aveu. Dans quelques heures, j’aurai enlevé Mme d’Éponne. Je vous vois d’ici un air qui m’irrite. Eh bien ! oui, je l’aurai enlevée. J’aurai mis dans la vie d’Oleski la plus brûlante des douleurs et dans ma vie le plus écrasant des ennuis. La fatalité l’aura voulu, cette fatalité que nous créent en devenant une puissance invincible les forces combinées de nos sottises et de nos passions. Je vous raconterai ce qui est arrivé, autant que me le permettront les souvenirs ardens et confus dont je suis assailli en ce moment.

« Depuis quelques jours, je ne songeais plus qu’à quitter la maudite villa d’Oleski ; mais, toutes les fois que j’annonçais mon départ, c’étaient chez Valérie des emportemens devant lesquels je reculais. Elle en était venue à tout me dire sur la lassitude désespérée qu’elle avait de notre pauvre ami. — Non, s’écriait-elle, je ne puis pas supporter la pensée que vous me laissiez ici enchaînée à cet homme dont un caprice insensé m’a fait la compagne. Vous me dites qu’il m’aime : eh bien ! je lui en veux de m’aimer ; son fatigant, son oppressif amour,