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LE GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF SOUS GEORGE III.

la contrainte à la persuasion. » Grenville, avec sa rogue opiniâtreté, déplaça la question. D’une affaire de finances il fit une affaire de logique et de théorie parlementaire. « Vous prétendez, disait-il à ses adversaires, que le parlement peut voter des lois de douane pour les colonies, mais non des impôts ? Les actes votés par la chambre des communes et la chambre des lords, et sanctionnés par le roi, sont des lois et ont force de loi dans tout l’empire ; refuser d’y obéir, c’est se mettre en rébellion ; contre la rébellion, il n’y a que la force. » Grenville pouvait avoir pour lui l’apparence logique et la légalité littérale ; mais il oubliait qu’un raisonnement bien déduit peut mener à l’absurde, suivant les prémisses ; il oubliait que l’observation des formes n’est pas tout dans une loi, et qu’une fois la légalité d’une mesure démontrée, il reste à savoir si la pensée politique de cette mesure est sensée ou folle, prudente ou dangereuse. Grenville put croire jusqu’à sa mort qu’il avait fait un bon syllogisme et qu’il était irréprochable sur le terrain de la légalité. S’il eût assez vécu, l’indépendance des États-Unis lui eût prouvé qu’il avait fait de la détestable politique.

Tels furent les deux actes principaux du ministère de George Grenville, dont les développemens et les conséquences remplirent les vingt premières années du règne de George III. Cependant, avant même que l’on pût prévoir les désastreux effets de la politique de Grenville, quelques semaines seulement après la formation de son ministère, lord Bute et le roi avaient repris vis-à-vis des chefs principaux des partis leur sourd travail d’amusement et de division. Chose curieuse, au moment où il annonçait sa retraite des affaires, lord Bute écrivait au duc de Bedford : « Il y a une chose à laquelle le roi est décidé, c’est de ne souffrir, sous aucun prétexte, que ces ministres du dernier règne, qui ont tenté de l’enchaîner et de l’asservir, rentrent jamais à son service tant qu’il vivra et qu’il tiendra le sceptre. » Ceux auxquels lord Bute faisait allusion étaient Pitt et les whigs du duc de Devonshire et du duc de Newcastle ; mais, quelques semaines après, lord Bute, ne trouvant pas dans Grenville les complaisances auxquelles il s’était attendu, pour intimider et assouplir les nouveaux ministres ou pour amollir l’opposition par le mirage du pouvoir, faisait offrir successivement le ministère à Pitt, au duc de Newcastle et à lord Hardwicke. Quelques mois après, lord Egremont, un des membres du triumvirat, mourait subitement, et sa mort était l’occasion d’une bizarre crise ministérielle. Lord Bute s’adressa directement à Pitt. Le grand commoner répondit qu’il ne travaillerait à la formation d’un cabinet que sur l’invitation directe du roi. George III le manda au palais de Buckingham par une lettre ouverte. Pitt s’y rendit en plein midi dans sa chaise à porteur, dont la caisse, accommodée à ses membres goutteux, avait une forme si originale, que le peuple la reconnaissait, comme si