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avec un piano, des vases de fleurs et toutes les pensées qui naissaient naturellement du lieu et de la situation.

« Je vous fais en ce moment-ci la plus complète des confessions. Ce n’était pas assurément le désir d’ajouter à ma vie un chapitre à la Crébillon qui me tourmentait en regardant Mme d’Éponne. Si ce mouvement s’était passé en moi, je vous le dirais bien franchement. Le fait est qu’en rendant justice aux grâces de Valérie, je ne me sentais attiré vers elle par aucun de ces ardens et rapides entraînemens chers à la galanterie du siècle dernier. Si vous voulez comprendre ce que j’éprouvais, imaginez-vous un braconnier qui s’est fait sur son hasardeux passe-temps les plus persuasives homélies, qui s’est juré de traverser les bois sans regarder le tracé des lièvres, ni écouter le chant des perdrix, et qui se trouve à l’écart, avec son fusil, devant une pièce de gibier. Je me sentis saisi par la toute-puissance de l’habitude, par la fatalité du métier : je m’assis à côté de Valérie, qui s’était replacée sur le sofa où nous étions avant le dîner.

« — Tenez, lui dis-je, pourquoi essaierais-je de lutter et mettrais-je ma pauvre cervelle à la torture pour vous entretenir de tout ce qui ne m’intéresse pas, quand je sens toutes mes pensées se transformer en mots brûlans sur mes lèvres pour vous parler de ce qui a toujours été l’unique intérêt de ma vie ? Je n’étais pas assurément plus sot que bien d’autres. Je suis d’un pays où l’on s’enivre des triomphes de la parole, et où j’avais le droit, par ma naissance, de transformer en harangue chacune de mes pensées sur la chose publique, je n’ai jamais prononcé deux phrases de suite devant vingt hommes réunis. On m’offrirait demain la gloire de Pitt, que je la repousserais. Mon ambition a été uniquement ceci, de trouver un jour chez une femme un cœur qui renfermerait le secret que les savans cherchent dans l’étude et les saints dans la foi…

« Elle m’interrompit en riant. — Nous le jouons donc enfin, notre proverbe. Vous êtes Faust, n’est-ce pas ? eh bien ! je suis Fausta. Ce que vous cherchez, c’est une pierre philosophale à laquelle vous donnez le nom de l’amour ; c’est là ce que moi je cherche aussi. Seulement, pour arriver à l’or qu’ils rêvaient, savez-vous ce que les alchimistes jetaient dans leurs fourneaux ?

— Précisément. Eh bien ! pour arriver à l’amour que nous rêvons, nous aurions besoin d’avoir à dépenser de l’amour. Or ce qui nous a manqué à tous deux, c’est de pouvoir aimer.

« Je me mis à rire à mon tour : c’est sur ce mot si vrai que nous aurions dû nous arrêter. Malheureusement on ne s’arrête pas dans le chemin où nous étions. Mme d’Éponne avait eu, comme moi, son élan