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suivait une direction distincte des influences que nous venons d’énumérer. Cette direction appartenait toujours au chef d’une grande famille aristocratique. Le duc de Devonshire en était investi au moment où George III devint roi ; la princesse douairière de Galles, mère de George III, l’appelait le prince des whigs. Le duc de Devonshire mourut bientôt, et cette suprématie patricienne passa au marquis de Rockingham.

La figure du marquis de Rockingham repose et console ceux qui parcourent l’histoire de cette époque. Le marquis de Rockingham était par les femmes l’arrière-petit-fils du fameux ministre de Charles Ier lord Strafford. Il possédait une des plus grandes fortunes de l’Angleterre. Il n’avait que trente-cinq ans lorsqu’il fut reconnu comme leader par la portion la plus considérable du parti whig. Lord Rockingham était dépourvu des qualités brillantes de l’homme politique ; il n’était pas éloquent : une invincible timidité l’empêchait de prendre ou de garder long-temps la parole dans la chambre des lords ; mais il avait les plus solides qualités d’un chef de parti, — le bon sens inaltérable, l’esprit conciliant, une constance qui le mettait à l’abri des illusions et du découragement. Ce qui faisait surtout de lui l’ornement d’un parti libéral, c’était la droiture de ses vues et la sereine probité de sa vie. Si la cause de la liberté, représentée par les whigs, a conservé au milieu du XVIIIe siècle l’attrait moral qui entraîne les consciences pures et les talens généreux, elle en fut certainement redevable au marquis de Rockingham. Tous les amis de lord Rockingham furent des hommes purs, généreux, honorables. Non-seulement il maintint son drapeau dans les temps les plus difficiles, mais il attira autour de lui, par la dignité de sa conduite et la noblesse de son patronage, l’élite des hommes nouveaux qui entrèrent vers ce temps-là dans la politique. Lord Rockingham eut la gloire de donner Burke à son parti et à son pays ; il prit Burke à son début, l’associa à ses travaux comme secrétaire, lui assura l’indépendance en lui faisant cadeau de la propriété de Beaconsfield, et lui ouvrit l’entrée de la chambre des communes. Au déclin de sa vie, il gagna encore à sa cause, par la seule influence de son honnêteté politique, le jeune Charles Fox, qui se vanta d’avoir hérité de ses principes. Pendant dix-huit ans qu’il eut la direction du parti whig, dans l’opposition ou durant de rapides passages aux affaires, il ne donna pas un seul démenti à ses convictions, il ne commit pas un acte d’inconsistance. De nombreuses publications ont récemment amené la lumière sur le caractère et les actes de ses contemporains ; on connaît, par leurs correspondances, lord Chatham et les Grenville, le duc de Redford et la coterie qui l’entourait : les lettres de lord Rockingham, publiées par le comte d’Albemarle, le placent, comme chef de parti, à un niveau moral bien supérieur à celui de ses rivaux. Il y