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bruyantes encore que celles qu’il avait eues avec son père. Le prince Frédéric était né également en Hanovre. Il rompit de bonne heure avec le roi, se mit à la tête des mécontens et fit de sa résidence de Leicester-House le quartier-général de l’opposition. Hostilité politique, jalousies de famille, querelles d’argent, il employa tous les moyens pour tourmenter ses parens couronnés ; il devint même pamphlétaire. On prétend qu’il fut l’auteur d’un conte satirique où étaient dépeintes toutes les laideurs intimes de cette brumeuse et empâtée maison de Brunswick ; cela s’appelait : Histoire du prince Titi, allégorie royale. C’était un conte de fée où George II figurait sous le nom du roi Ginguet, où la reine Caroline s’appelait la reine Tripasse, et où le prince Frédéric se déguisait en prince Titi. George Ginguet, dans ses momens de colère, demandait à Caroline Tripasse : « Cet animal est-il réellement mon fils ? » — La reine était bien obligée de confesser la paternité, mais elle ajoutait : « Mon cher aîné est le plus grand âne, le plus grand menteur, le plus grand gredin, la plus grosse bête qui soit au monde, et je souhaiterais bien de l’en voir dehors. — C’est un monstre si sordide, disait-elle encore, et si peu capable de résister à l’appât d’une guinée, que si le prétendant lui offrait 500,000 livres de son droit à la couronne, il répondrait : Comptez l’argent[1]. » La joie de voir mourir ce joli prince Titi fut refusée à la reine Caroline, mais accordée à George II : Frédéric était mort avant son père, laissant pour fils le premier prince de cette maison né en Angleterre, celui qui devint roi, en 1760, sous le nom de George III.

Il faut reconnaître qu’au point de vue moral George III se distinguait autant de ses prédécesseurs que par cette naissance anglaise dont il se targuait si fièrement. Le jeune prince apportait sur le trône des mœurs pures. Élevé par sa mère dans une morne retraite, son esprit appliqué, mais étroit et vétilleux, son caractère incapable des grandes passions, mais trempé d’obstination et enclin aux scrupules, avaient été naturellement disposés par son éducation à la simplicité et au rigorisme des mœurs bourgeoises. Toute la force de ce caractère et de cet esprit avait été tendue de bonne heure vers l’exercice du pouvoir auquel George était appelé. Sa mère, secondée de son gouverneur, lord Bute, l’avait façonné pour donner une physionomie nouvelle à la royauté. Elle ne cessait de lui répéter : George, soyez roi ; George, be king ! George, maître de la couronne et entouré des mêmes conseils, voulut en effet être roi d’une autre façon que l’avaient été ses ancêtres.

L’état dans lequel il prenait l’Angleterre lui ouvrait d’ailleurs une situation bien plus facile que celle où s’étaient trouvés ses prédécesseurs. En 1760, le jacobitisme et le péril politique dont il menaçait la

  1. Lord Hervey’s Memoirs.