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Hanovriens et l’étaient restés de langage, d’esprit, de politique et de mœurs. Un peuple renommé comme le peuple anglais pour sa loyauté gothique envers ses souverains a rarement eu le désagrément de voir briller à sa tête une réunion de princes aussi maussades que ces personnages. Le dédain des usages britanniques, la subordination constante de la politique extérieure de l’Angleterre à leurs intérêts d’électeurs de Hanovre, un libertinage disgracieux et morose, des haines de famille scandaleuses, voilà le bagage moral des princes auxquels le destin confiait la plus délicate des tâches, la fondation d’un trône révolutionnaire et constitutionnel.

George Ier se distingua surtout par le choix de ses deux maîtresses : c’étaient des Hanovriennes, toutes deux vieilles et laides, avec cette différence que l’une, la Schulenburg, était d’une maigreur ridicule, et l’autre, la Kielmanseck, d’une grosseur monstrueuse. Le peuple de Londres appelait la maigre la Perche, — le roi la fit duchesse de Kendall, — et la grosse l’Éléphant, — le roi la fit comtesse d’Arlington. George Ier avait cependant une femme légitime, la princesse Sophie-Dorothée, qu’il tenait, en vraie Barbe-Bleue du moyen-âge, enfermée dans une forteresse de Hanovre[1]. Trois Allemands composaient son conseil intime, auxquels il faut joindre deux Turcs, Mustapha et Mahomet, qu’il avait faits prisonniers dans les guerres de Hongrie. Un ambassadeur français, le comte de Broglie, résumait en quelques lignes la physionomie de cette bizarre cour. « Le roi, écrivait-il, laisse le gouvernement de l’intérieur à Walpole ; il est appliqué avec ses ministres allemands à régler les affaires de Hanovre et ne s’occupe point de celles d’Angleterre ; il n’a aucun goût pour la nation anglaise et ne reçoit en particulier aucun Anglais de l’un ni de l’autre sexe ; aucun même de ses officiers n’est admis, le matin, dans sa chambre pour l’habiller, ni le soir pour le déshabiller ; ces fonctions sont remplies par les Turcs qui sont ses valets de chambre. Il considère l’Angleterre plutôt comme une possession, dont il faut tirer le plus possible tant qu’elle dure, que comme un héritage perpétuel pour lui et sa famille. » La duchesse de Kendall, qui faisait argent de tout, qui trafiquait de sa faveur avec les ministres et leurs ennemis, avec les ambassadeurs étrangers, avec les gens d’affaires, s’occupait, à proprement parler, plus que le roi du gouvernement de l’Angleterre. Quant à George, il ne savait pas même assez d’anglais pour assister aux conseils de son cabinet. Ce qu’il donnait aux affaires anglaises se bornait à quelques conversations avec Walpole. Après une partie de chasse dans le parc de Richmond, le roi et le ministre entraient dans un pavillon et causaient politique en fu-

  1. Voyez, sur la vie singulière et la captivité de Sophie-Dorothée, la Revue des Deux Mondes du 15 juillet 1845.